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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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escapade privée résultant de la seule volonté
de Hess. En vérité, Hitler avait tout combiné,
selon son habitude de faire agir ses proches individuellement sans
que les autres le sachent, ce qui lui permettait de multiplier les
tentatives, fussent-elles contradictoires, et de déterminer
celles qui avaient de l'avenir, celles qui n'en avaient pas. Comme
l'affaire avait échoué dans le secret des prisons
britanniques, Hitler avait donc joué l'ami trahi, l'ami déçu,
et, pour détourner la conversation, prétendait encore
souffrir lorsqu'on lui parlait de Rudolf Hess.
    Plus
il sentait que la guerre allait durer, plus il s'interrogeait sur sa
mission historique. S'il perdait la guerre, qu'allait-il arriver ?
Non, bien sûr, il ne la perdrait pas, mais au cas où ?
Le châtiment serait terrible.
    Les
vengeurs de l’avenir... Il faut se débarrasser des
vengeurs de l'avenir.
    Dès
qu'il avait rencontré des difficultés sur le front
russe, il était devenu obsédé par les vengeurs
de l'avenir. Qui ? Les femmes et les enfants des hommes juifs qu'on
fusillait par milliers sur le front est...
    Au
début de l'invasion, les Einsatzgruppen avaient mené
des actions efficaces et cohérentes, tueries, fusillades,
pogroms, représailles, tout cela culminant dans le massacre de
Babi Yar où l'on s'était débarrassé de
trente-trois mille sept cent soixante et onze Juifs masculins. Puis,
dès le mois d'août, Hitler avait demandé
d'inclure femmes et enfants, les « vengeurs de l'avenir»,
dans les exécutions. Cinquante mille Juifs à la
mi-août, puis, grâce au progrès technique —
on mitraille au lieu de fusiller —, cinq cent mille au
trimestre suivant.
    Himmler
venait fidèlement rendre compte de son œuvre
purificatrice à la Tanière du Loup.
     Nous
avons trouvé une meilleure méthode : les Juifs se
placent au-dessus du fossé où ils vont s'entasser puis
nous arrosons à la mitraillette.
     Très
bien.
     Oui,
mon Führer, mais nous pourrions encore faire mieux.
    Hitler
regardait Himmler avec une satisfaction confirmée. Himmler,
mou et dépourvu de menton, n'avait pas plus de traits ou
d'expressions qu'une limace mais cette limace souriait et semblait
être le seul proche à n'avoir pas remarqué sa
dégénérescence physique. Himmler voyait toujours
l'Hitler des années trente, le sauveur apparu dans un temps de
détresse extrême, le messie, « celui vers qui
l'humanité lèverait les yeux avec foi, comme elle
l'avait fait jadis avec le Christ ». Son monocle avait gardé
cette image gravée et n'en laisserait jamais passer aucune
autre. Hitler appréciait en Himmler l'ambition et la
soumission. L'une était aussi absolue que l'autre. Il
incarnait le subalterne idéal, incapable d'une initiative mais
méticuleux à l'extrême dans l'exécution de
l'ordre, un individu si petit qu'il ne pouvait pas s'inventer une
grande tâche mais venir à bout de toutes celles qu'on
lui donnait. Quoi qu'on lui demandât de faire, cela devenait sa
mission. Il allait la rationaliser méthodiquement. La fin
organisait et justifiait tous les moyens. Il offrait le profil du
bourreau idéal : précis, borné, et
fonctionnaire. La banalité de l'exécutant.
    Chaque
fois qu'Hitler le convoquait, Himmler tremblait comme s'il allait
passer un examen. Le dictateur adorait cet effroi où il
reconnaissait une juste marque de son rayonnement et où il
puisait l'idée que celui-ci, en tout cas, ne le trahirait pas.
     Avez-vous
assisté aux exécutions à Minsk ?
     Oui,
mon Führer.
     Eh
bien ?
     C'est
fait, mon Führer.
     Non,
je vous demande ce que vous avez ressenti.
    La
limace paniqua et faillit perdre son monocle, Himmler n'avait aucune
confiance dans ses émotions ou réactions. Hitler le
savait et jouait cruellement avec ce fond caché
d'incertitudes.
     Mon
Führer, ces gens-là ont toutes les apparences humaines.
Ils ont des yeux, une bouche, des mains, des pieds... Mais, en
réalité, il s'agit de créatures monstrueuses
dont la conscience et l'âme sont encore plus profondément
enfouies que celles des animaux. Ce sont des êtres primitifs.
J'ai ressenti ce qu'on peut éprouver en visitant des
abattoirs.
     Très
bien, très bien, dit Hitler, gêné par la
comparaison car il aimait les animaux avec passion, surtout Blondi,
sa nouvelle chienne, qui lui tenait compagnie à la Tanière
en lui procurant bien plus de joies qu'une Eva Braun. Mon cher
Himmler, vous m'avez plusieurs fois demandé ce que

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