La Part De L'Autre
ma fille, mon petit-fils, ma petite- fille »
—, mais elles l'évitaient toujours. Parfois il avait envie de
se lever pour arrêter une balle, faire obstacle. «Oh ! Je
suis là ! Les jumeaux, Sophie et Rembrandt, ne seraient
pas vos petits-enfants si je n'étais pas leur père. »
Il avait même envie d'être vulgaire. « Et mes
« couilles ? Et mon sperme ? Vous oubliez qu'il m'en a fallu pour
vous donner vos petits-enfants. Je voudrais qu 'on
me traite au minimum avec le respect que l'on doit à une bonne
paire de couilles. » Mais il renonçait toujours,
sachant qu'il allait rendre encore plus diffi ciles les
relations de Sarah avec ses parents. Celle-ci avait bravé la
tempête familiale en choisissant Adolf, cet Autrichien goy qui
ne peignait même plus. On l 'avait
menacée de la déshériter, de l'empêcher de
monter son affaire, de ne pas reconnaître ses enfants si elle lui prenait
la folie d'en faire avec lui. Quand on avait constaté que ces
menaces ne l'arrêtaient pas, on l'avait réadmise, elle,
puis les enfants — car, au fond, la judaïté se
transmet par la mère, n'est-ce pas, Myriam ? —, l'on
tolérait autant qu'on le pouvait cet appendice inutile de
mari. C'est-à-dire qu'on lui laissait une chaise et un
couvert.
Adolf
H. ne s'emportait jamais contre Joseph Rubinstein mais avait trouvé
le moyen de l'agacer suprêmement en sympathisant avec ses
théories sionistes.
Vous
avez raison, beau-papa. Il faut créer un Etat juif. Theodor
Herzl a ouvert la voie. L'affaire Dreyfus en France, les pogroms de
Kichinev, de Jaffa, les massacres d'Hébron, de Safed, tous ces
actes antisémites suffisent à justifier la démarche
sioniste, quels que soient les problèmes qu'elle pose.
Joseph
Rubinstein, grand militant sioniste, ne supportait pas que son goy de
beau-fils énonçât ses convictions fondamentales.
Il avait presque envie de le contredire. Un bouillonnement intérieur
lui faisait trembler les lèvres.
Adolf
jouissait de sa vengeance. Il en remettait une couche.
Et
vous, beau-papa, vous êtes partisan de l'Ouganda ou de la
Palestine ?
L'Ouganda
! explosa Joseph. Mais plus personne songe à faire un Etat
juif en Ouganda depuis 1905 ! C'était une proposition
outrageante des Britanniques. En Afrique noire ! Non, nous devons
aller en Palestine.
Je
suis bien de votre avis. Israël doit être en Palestine. Ce
sont exactement mes convictions.
Sarah
était obligée de lui donner un coup de pied sous la
table pour qu'il s'arrêtât car elle craignait que son
père ne fît un coup de sang.
En
sortant de ces pesants repas du vendredi soir, elle lui demandait :
Tu
plaisantes ou tu es d'accord avec mon père ?
Mon
premier but est, certes, de l'agacer. Mais...
Franchement,
Adolf ?
Franchement,
je n'en sais rien ! Je trouve l'idée d'un Etat d'Israël à
la fois justifiée et difficile. Je ne vois pas comment ce
serait possible sur le plan technique. Et puis surtout, je m'étonne
que ce mouvement soit né en Allemagne.
Pourquoi
?
Parce
qu'il fait bon être juif et allemand. Tu le reconnais toi-même.
Nous sommes en paix et pour longtemps. Le pays se modernise et se
libéralise. L'antisémitisme est marginal ici, honteux,
sauf chez cet allumé de Goebbels, tu sais, ce type d'extrême
droite qui ne fait pas un pour cent des voix. Il est plus difficile d'être juif en Pologne, en Russie en Amérique
ou en France. Tes oncles le disent d’ailleurs.
C’est
vrai.
Alors
pourquoi ici ? Qu’est-ce que l’Allemagne a à
voir avec le destin du sionisme et d’Israël ? Je ne
comprends pas.
Non,
nous ne reculerons pas !
Hitler
éructait sur ce thème plusieurs heures par jour.
Pas
de retraite ! On ne recule pas devant les Russes. On ne recule pas
devant l'hiver. Sinon on finit comme Napoléon ! Nos hommes
doivent s'accrocher au terrain qu'ils occupent, ils doivent creuser à
l'endroit même où ils se trouvent et tenir chaque mètre de terre.
Mais,
mon Führer, le sol est gelé.
Et
alors ? J'étais soldat dans les Flandres en 14-18, la plaine
était gelée aussi, nous fabriquions des cratères
avec les obus.
Mais,
mon Führer, les champs sont glacés Jusqu'à un
mètre cinquante de profondeur. La Russie n’est pas la
Belgique.
Taisez-vous
! Vous n'y connaissez rien.
Les
pertes humaines vont être horribles.
Croyez-vous
que les grenadiers de Frédéric le Grand étaient
impatients de mourir ? Ils voulaient
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