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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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réintégré
à l'univers, on l'avait reconnu tel qu'il se rêvait ! La
vie se révélait juste et belle. A partir de ce soir, il
pouvait se permettre d'avoir des amis.
    Il
buvait encore.
    Après
avoir refait le monde, ils s'expliquaient maintenant d'où ils
venaient, ce que faisait leur famille. Au moment où ce fut son
tour, Adolf ressentit une furieuse envie d'uriner et courut aux
toilettes.
    Son
liquide arrosait puissamment la faïence, il pissait dru, il se
sentait invulnérable.
    Dans
le miroir verdâtre et vérole, il testa sa nouvelle tête
d'étudiant admis aux Beaux-Arts : il lui sembla que cela se
voyait déjà, qu'il y avait une brillance nouvelle dans
ses prunelles, un éclat sans précédent. Il
s'étudia avec complaisance, posant un peu pour lui-même,
se regardant avec les yeux de la postérité, Adolf H.,
le grand peintre...
    Une
douleur lui paralysa la mâchoire, ses lèvres se
couvrirent d'écume et Adolf s'abattit sur le lavabo. Ses
épaules étaient déchirées par des
contractions, les sanglots dévastaient son visage : il venait
de songer à sa mère.
    Maman... Comme
elle aurait été contente, ce soir ! Elle se serait
sentie si fière ! Elle l 'aurait
pressé contré son sein malade.
    Maman,
je suis reçu à l’Académie.
    Il se
figurait très clairement le bonheur de sa mère, et, quand
il imaginait cela, c 'était
tout l 'amour
maternel qui était enfin rendu à l 'orphelin.
    Maman,
je suis reçu à l'Académie.
    Il
le répéta doucement, comme une incantation, le temps
que l'orage passe.
    Ensuite,
il rejoignit ses amis.
Adolf,
où étais-tu passé ? Tu as vomi ?
    Ils
l'avaient attendu ! Ils l'appelaient Adolf ! Ils s'étaient
inquiétés ! L'adolescent fut si ému qu'il prit
vite la parole :
Je
crois qu'on ne peut plus peindre aujourd'hui comme il y a vingt ans.
L'existence de la photographie nous pousse à concentrer notre
travail sur la couleur. Je ne crois pas que la couleur doive être
naturelle !
Quoi
? Pas du tout. Meyer prétend...
    Et
la conversation reprit, jaillissante, capricieuse, comme un bon feu
de cheminée. Adolf s'enthousiasmait pour des idées
qu'il n'avait jamais eues, fût-ce cinq minutes auparavant, il
se lançait dans des théories nouvelles qu'il estimait
immédiatement définitives. Les autres réagissaient
avec force.
    Dans
les courts moments où il se taisait, Adolf H. n'écoutait
pas ses condisciples mais songeait voluptueusement aux lettres qu'il
allait écrire le lendemain : une à sa fiancée
Stéphanie qui n'aurait désormais plus aucune raison de
se montrer si hautaine, une à sa tante Johanna qui n'avait
jamais cru à son talent de peintre, une à son tuteur
Mayrhofer qui s'était permis de lui conseiller de chercher
« un vrai métier »», une à
sa sœur Paula, cette gamine insolente et moche pour laquelle il
ne ressentait que de l'indifférence mais qui devait néanmoins
réaliser quel grand homme était son frère, puis
une lettre au professeur Rauber, cet imbécile qui lui mettait
de mauvaises notes en dessin, au professeur Krontz aussi qui, au
lycée, s'était permis de critiquer ses assemblages de
couleurs, à cet instituteur de Linz qui l'avait humilié,
lorsqu'il avait huit ans, en montrant à toute la classe son
beau trèfle rouge à cinq feuilles... Sa joie ajustait
ses lettres comme on prépare un tir, ses missives seraient
autant d'armes destinées à blesser tous ceux qui
n'avaient pas su croire en lui. Il éprouvait une délectation
féroce à exister. Ce soir, il se sentait bien, mais
demain, il se sentirait encore mieux en faisant du mal aux autres.
Vivre, c’est tuer un peu.

Bonsoir,
monsieur Hitler. Alors ? Vous avez réussi ?
    Madame
Zakreys, sa logeuse, cette sorcière tchèque, avait
quitté sa machine à coudre pour se précipiter
dans le couloir dès qu’elle avait entendu la clé
pénétrer dans la serrure. Fort heureusement, l’entrée
stagnait dans la pénombre et Hitler pensa demeurer peu
perceptible à la silhouette massive aux petits yeux jaunes.
Non,
madame Zakreys. Ils n’ont pas proclamé les résultats
car l’un des examinateurs, souffrant, n’a pas encore pur
rendre ses notes.
    Madame
Zakreys toussa de manière compréhensive. Hitler savait
que, si on lui parlait de maladie, on obtenait immédiatement
sa crainte et sa sympathie
Et
qu’est ce qu’il a ce professeur ?
La
grippe Il paraît qu’il y a une épidémie à
Vienne
    Madame
Zakreys recula d’instinct vers sa cuisine, redoutant déjà
qu’Hitler soit

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