La Part De L'Autre
porteur de germes dangereux.
Hitler
avait marqué un point décisif. Madame Zakreys ayant
perdu son mari quelques années auparavant d’une
influenza mal soignée allait d’isoler et ne proposerait
même pas au garçon de partager un thé avec elle.
Sans doute allait-elle l’éviter pendant quelques jours.
Bien joué ! Il n’aurait pas à s’épuiser,
à mentir, à parfaire la comédie de celui qui
attend ses résultats.
Pendant
qu'il posait son manteau, il l'entendit qui, déjà, allumait
le gaz pour
se préparer une décoction de thym. Comme elle devait se
sentir coupable de sa retraite hâtive,
elle repassa la tête dans le couloir pour ne mander poliment :
Vous
devez être déçu ?
Hitler
tressaillit.
De
quoi ?
D'attendre
encore... vos résultats...
Oui.
C'est agaçant.
Elle
le scruta de loin, prête à en entendre un peu plus, mais
lorsqu'elle constata qu'il ne commenterait pas davantage, elle estima
avoir été aimable et retourna à son fourneau.
Hitler
s'enferma dans sa chambre.
Il
s'assit en tailleur sur son lit et se mit à fumer
méthodiquement. Il inhalait la fumée, la faisait
tourner dans ses poumons puis relâchait des volutes épaisses.
Il avait l'impression grisante de chauffer la pièce avec sa
propre substance.
Autour
de lui, ses dessins, des affiches d'opéra — Wagner,
Wagner, Wagner, Weber, Wagner, Wagner —, des esquisses de
décors pour le drame lyrique et mythologique qu'il voulait
écrire avec son ami Kubizek, les livres de Kubizek, les
partitions de Kubizek.
Il
allait falloir écrire à Kubizek dans la caserne où
il effectuait son service militaire. Ecrire... Lui dire…
Hitler
se sentit dépassé par l'ampleur de la tâche. Lui
qui avait convaincu Kubizek de le suivre de Linz à Vienne, qui
lui avait assuré qu'il devait être musicien, qui l'avait
même inscrit à l'Académie de musique où
Kubizek avait été reçu du premier coup en
solfège, composition et piano, lui qui avait été
le leader des deux garçons, contre les oppositions têtues
de leurs deux familles, il allait devoir avouer que, de son côté , il
avait tout raté.
Madame Zakreys
gratta à la
porte.
Quoi
? demanda agressivement Hitler pour protéger son intimité.
Il
faudra pense à me
payer la chambre.
Oui. Lundi.
D'accord. Mais
pas plus tard.
Elle
s 'éloigna en
traînant des pieds,
Hitler
regarda avec panique autour de lui. Allait -il
pouvoir continuer à payer
cette chambre ? S'il était
aux Beaux-Arts,
il aurait eu droit à une
pension d’étudiant-orphelin. Mais sans cela... J’ai l'héritage
de mon père ! Huit cent dix-neuf couronnes !
Oui
mais il ne le toucherait qu'à sa majorité, dans arts.
D'ici là...
Son
cœur s'affola.
Il
contempla la chambre d'un regard maussade. Il ne pourrait même
pas rester ici. Tant qu'il était étudiant pouvait se
contenter de peu. Maintenant qu'il était plus étudiant,
il était pauvre.
En trois
portes claquées, il se retrouva dans la rue. Il fuyait sa
chambre. Il devait marcher. Il fallait imaginer une solution. Sauver
la face ! D'abord sauver la face. Ne
rien dire à Kubizek. Et puis dégoter de l’argent
Maintenir des apparences normales.
Il avançait
à grandes enjambées de sourd sur les trottoirs de
Mariahilf, un des quartiers les plus pauvres de Vienne,
un quartier qui aurait dû paraître neuf tant il était
récent mais dont les immeubles pleins à cra quer se
fissuraient déjà. Une lourde odeur de marrons chauds barbouillait
les façades.
Que
faire ?
La
loterie !
Hitler
exulte. Bien évidemment ! Voilà
la solution ! C’est pour cela que la journée s'est si
mal passée ! Tout à un sens. Le destin lui a interdit
la réussite à l’Académie parce qu’il
lui réserve une bien plus belle surprise : devenir
millionnaire. Cet après-midi, n’était qu'une épreuve
initiatique, une passe dangereuse qui forcément devait
déboucher sur la lumière
: u n
billet de loterie
! Il n 'avait
perdu que pour gagner encore plus,
C 'était
évident ! Comment avait-il pu douter
? Le
premier billet du premier vendeur venu !... Voilà ce
que lui
disait sa voix intérieure. Le
premier billet du premier vendeur
venu !
Justement,
derrière un brasero dont les .charbons ardents noircissaient
les châtaignes, se tenait un infirme qui proposait des billets
aux passants.
Hitler
contempla l'hydropique boursouflé comme une apparition, ou
plutôt une confirmation céleste. La fortune était
là, devant lui, assise sur une chaise pliante en toile,
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