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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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totalement informel, très novateur en matière de luxe et, s’avouait l’Académicien, malgré son côté extravagant, ce décor futuriste avait un charme indéniable.
    Arrivé près du commandant, il reconnut à la table voisine l’officier qui venait de lui faire ce commentaire sur la mosaïque du palier de l’escalier central. Il regardait partout et semblait chercher quelqu’un. L’Académicien crut avoir déjà vu son visage, mais il ne put se souvenir où. Près de lui, élégantissime dans un drapé bleu de la maison Grès, un voile de soie blanche négligemment jeté sur ses épaules, l’actrice Michèle Morgan conversait avec Joseph Kessel et un confrère de Paris-Match qui la regardait avec des yeux éblouis.
    — Cet officier est curieux, se dit l’Académicien. Il est placé près de la plus belle femme du navire et il laisse les autres lui faire des discours.
    — Alors, mon ami, vous nous oubliez !
    C’était le commandant qui lui rappelait poliment qu’il ne fallait plus s’attarder et qui lui faisait signe de venir s’asseoir. Confus, l’Académicien salua les messieurs et fit un baisemain aux dames. Une fois à sa place, il s’aperçut que la table était au complet, et il ne voyait ni Sophie ni Béatrice. Où étaient-elles ?
    Le commandant crut deviner ses pensées.
    — Je vous sens perturbé, lui dit-il. Vous connaissant, je suis sûr que vous regrettez les anciens liners au temps des feux de bois et des bibliothèques de cuir.
    — Un peu, dit l’Académicien qui n’osa lui avouer ses véritables pensées.
    — Il faudra vous habituer, le monde change. Sur le France nous voguons à l’heure de la conquête spatiale.
    — Je vois, mon commandant, que vous êtes fier de ce nouveau paquebot, répondit l’Académicien en surmontant par souci de politesse le trouble dans lequel l’avait plongé l’absence de ses deux invitées.
    — Comment ne pas en être fier, s’enthousiasma le commandant. Jamais dans ma longue carrière je n’ai eu entre les mains un bateau de cette trempe ! C’est le Flagship de la Compagnie !
    L’Académicien souriait au commandant mais pensait à autre chose. Tout avait été arrangé avec le commissaire, les deux amies étaient inscrites ce soir au plan de table. Cela faisait deux fois de suite qu’on les annulait à la dernière minute. Pourquoi ?
    — Vous n’êtes pas de cet avis ?
    Le commandant le regardait, interrogatif.
    — Bien sûr, répondit-il machinalement, mais... le Normandie, le Liberté sont de beaux navires aussi, non ?
    — Certes, mais le France est unique...
    Une flamme s’était allumée dans les yeux du commandant. Délaissant l’Académicien qui lui semblait préoccupé et peu attentif, il parlait maintenant en regardant ses invités tour à tour, heureux et pressé de leur transmettre sa passion.
    — C’est de l’orfèvrerie. Pensez qu’il fallait 29 chaudières au Normandie pour atteindre une puissance de cent soixante mille chevaux ! Le France se contente pour la même puissance de huit chaudières ! Et savez-vous qu’en semi-marche automatique un officier seul à la barre peut le conduire en manipulant simplement l’entrée et la sortie des brûleurs ?
    Les invités ne comprenaient rien à la marche des navires et encore moins aux explications techniques. Ils commençaient à être inquiets et se demandaient si tout le repas allait être voué à la description de la mécanique du navire.
    — ... L’appareil propulsif du France est de quatre hélices et de quatre lignes d’arbres, enchaînait le commandant, enthousiaste. Rien que le poids d’une hélice avoisine les vingt-deux tonnes et fait cinq mètres quatre-vingts de diamètre. Une hélice de presque six mètres, à quatre pales ! Vous imaginez !
    Emporté par la passion, le commandant avait oublié que sur les grands paquebots les voyageurs se désintéressent totalement des choses du réel. Ils ne viennent là que pour s’en échapper au contraire. Et s’ils paient leurs billets aussi cher, c’est pour accéder au rêve. Les passagers des grands paquebots ne veulent que du rêve et du plaisir.
    — Permettez-moi d’ajouter, commandant, que le France est aussi et à mon avis, surtout, la plus élégante silhouette de navire qu’on n’ait jamais connue.
    L’Américain, qui venait de prendre la parole en recentrant sur la beauté du paquebot avec un sens de la psychologie très à propos, était un inconditionnel du France.

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