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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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reprises sur les anciens fleurons des grandes compagnies. Des bois précieux partout sur les cloisons, dans les chambres, et même dans les cheminées que l’on allumait pour le thé de 5 heures comme dans le salon d’un château de la vieille Angleterre. Quelle folie en y repensant ! Pas étonnant qu’il y ait eu tant d’incendies. Huit mètres de hauteur, des velours, des lambris, des fresques, des dorures et des stucs. L’Académicien se trouvait vieux jeu, mais cela le poursuivait malgré lui. L’île de France, le Paris, le splendide Normandie au style fastueux des années vingt et tant d’autres aux noms disparus. L’Aquitania, le Viceroy of India, le Winchester Castle, l’Imperator ! Les grands paquebots d’antan transportaient une idée romanesque du monde, leurs salons étaient d’un exotisme total. Les décorateurs imaginaient l’Egypte, l’Écosse ou l’Inde lointaine, où ils n’étaient souvent jamais allés. Ils s’inspiraient de leurs propres visions fantasmées, et les passagers traversaient le temps et les continents au gré de leurs humeurs. Salons du Moyen Age, jardins d’hiver, fumoirs antiques, intérieurs hollandais, boudoirs hispanisants, demeures coloniales et lambris d’or comme à Versailles, les décorateurs rivalisaient. La magie devait être complète. Le voyage le plus dépaysant n’était pas sur la terre d’arrivée. Il était sur la mer, le temps que durait le voyage.
    C’est la découverte d’une oeuvre d’art moderne, sur le palier entre le pont véranda et le pont-promenade, qui sortit l’Académicien de ses souvenirs.
    Une grande mosaïque de près de trois mètres de long et plus d’un mètre de large présentait un assemblage abstrait de variations grises et noires composées à l’aide de minuscules tesselles. Des lignes, des courbes, des formes géométriques s’entremêlaient.
    — Invitation au voyage, de Jacques Swobada. L’école de Paris, le médaillé du concours de Quito ! Le préféré de Maillol !
    L’officier Vercors était descendu sans que l’Académicien l’entende arriver et il passait sur le palier dans son dos. Il parla d’une traite et ne s’arrêta pas, continua à descendre, et bien que disparu du champ de vision de l’Académicien, il parlait encore :
    — Que d’émotion il dégage, n’est-ce pas ? (il haussait la voix pour être entendu). L’oeuvre est inspirée de Rodin. (Sur ce dernier mot il criait presque.) L’Académicien entendit les portes de verre s’ouvrir et se refermer, plus bas. Il attendit un peu, plus rien. Perplexe et agacé, il jeta un dernier un coup d’oeil à la mosaïque.
    — Mais où va-t-il chercher Rodin dans ce charabia de tesselles ? marmonna-t-il. Il aurait pu prendre le temps de me saluer. Ces nouvelles manières, c’est...
    Soudain, il jeta un coup d’oeil à sa montre et comprit alors pourquoi l’officier était si pressé.
    — Vingt et une heures ! Mon Dieu ! s’écria-t-il. Le dîner !
    Il arriva juste à temps après l’officier, les derniers invités prenaient place.

 
    29
    On était introduit dans la prestigieuse salle à manger Chambord par un maître d’hôtel.
    Après quoi on descendait un large escalier de neuf marches qui vous présentait à la salle tel un objet de curiosité. Ce moment était très attendu, chacun se sentait unique, observé, et chacun se voulait à la hauteur du luxe et de la modernité du France. Les femmes affichaient les plus belles toilettes et les hommes avaient apporté un soin méticuleux au moindre détail de leurs smokings noirs. Coiffures, montres, bijoux, chaussures vernies, rien n’était laissé au hasard. La salle Chambord n’était pas n’importe laquelle, et y accéder avait un prix. Il fallait avoir le look et la classe. La presse internationale avait beaucoup parlé de sa décoration exceptionnelle. En arrivant, l’Académicien avait pris son allure d’officier de l’armée des Indes. Bien droit, il prenait son temps pour descendre les fameuses marches. Se sachant observé, il dominait du regard cette société huppée et s’attardait sur le fameux décor. Juste au-dessus, en guise de plafond, un dôme central constellé de spots lumineux sur fond d’aluminium bleu nuit modernisait la voûte céleste et, tout autour, des dalles lumineuses en verre dépoli évoquaient une soucoupe volante en phase d’atterrissage, scintillante. C’était incroyablement audacieux et particulièrement brillant. C’était

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