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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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êtes-vous jamais allé !
    L’Académicien se sentait mal à l’aise, l’Américain avait pointé du doigt ses contradictions avec une pertinence malicieuse et efficace. En tout cas, pour ce qui était de Hollywood, Marvin Buttles avait mis en plein dans le mille. L’Académicien avait trop de savoir-vivre pour persister dans cette voie sans issue. En fin diplomate, il avoua.
    — Vous avez raison, monsieur Buttles, je n’ai jamais mis les pieds à Hollywood. Mais il fallait bien un contradicteur dans ce concert de louanges. Râler, être un peu désagréable, ça aussi, chers amis, c’est la France !
    Et, sur ces mots, il demanda que l’on boive une gorgée de Champagne à la santé du France, qui, conclut-il avec un remarquable sens de l’adaptation, était le plus beau paquebot du monde. Soulagé, le commandant s’empressa de se lever après lui et, portant un toast, annonça d’une voix de stentor à l’intention de toute la salle :
    — Champagne pour tous ! En l’honneur du France ! Il y eut un grand brouhaha et la salle, conquise, tendit ses verres, ravie de cet hommage festif et spontané. Roger, le maître d’hôtel, ouvrait des yeux ronds à cette initiative inattendue et les serveurs le regardèrent, interrogatifs. Que faire ?
    Elles arrivèrent à cet instant précis, juste au moment du court silence qui suivit l’euphorie. Le groom leur avait ouvert les portes de verre et, sous l’oeil perplexe de Roger, de l’Académicien et des convives dont beaucoup avaient encore leur verre à la main, Sophie et Béatrice descendirent d’un même pas plein d’assurance l’escalier central de neuf marches dont elles avaient tant entendu parler. A toute époque, en tous lieux et en tous pays, il y eut des instants comme celui-là où des femmes, arrivant dans un lieu en retard, créent par le décalage de leur arrivée et par leur élégance, une interrogation et une magie.
    L’officier vit Sophie descendre les neuf marches telle une star de cinéma. Elle avait cette fierté insolente de la jeunesse quand elle se sait belle et inatteignable, à ce moment de pureté où les visages et les corps sont à leur apogée.
    La brune Sophie dans sa courte robe rose shocking et la blonde Béatrice dans son long fourreau de soie beige, c’était l’impertinente beauté aux côtés de la plus classique élégance. Elles étaient si sûres d’elles dans le contraste qu’elles offraient. Elles s’arrêtèrent sur la dernière marche et les invités les observèrent, se demandant où elles allaient. Il ne restait plus une seule chaise de libre à aucune table. La salle Chambord était au complet. Pétrifiées, elles comprirent au même moment qu’on ne les attendait pas.
    Conquérante l’instant d’avant, Sophie était désemparée, tout autant que Béatrice. L’officier la vit blêmir et ce décalage violent entre l’assurance de leur arrivée et leur désarroi soudain fit agir en lui le gentleman qu’il était. Avant que le maître d’hôtel ait eu le temps de s’interposer, l’officier repoussa son fauteuil et se dirigea d’un pas ferme vers les jeunes femmes. Pierre Vercors se tenait toujours très droit. Il avait l’allure des militaires de carrière dressés à l’obéissance. Mais quand il se déplaçait, le mouvement de son corps sous l’uniforme trahissait autre chose qu’une stricte discipline. Il y avait dans sa démarche quelque chose de souple et de félin, et la salle ne put, en le voyant, retenir un léger frisson. Il s’adressa à Sophie et à Béatrice avec une complicité spontanée, comme on parle à d’amicales connaissances. Elles le virent arriver comme un sauveur. Retrouvant grâce à lui une contenance face à la salle qui les observait comme des bêtes curieuses, elles reprirent des couleurs, mais Sophie avait si peur qu’il ne reparte et qu’elles ne se retrouvent à nouveau plantées là, stupides et ridicules, qu’elle s’accrocha à son bras et à son regard comme on s’accroche avec force et panique à une bouée en pleine mer, bien décidée à ne plus le lâcher. Il ne s’attendait pas à ce geste possessif, et il en fut troublé plus qu’il ne l’aurait voulu. Il marqua un léger recul imperceptible pour les autres, mais Sophie en fut mortifiée et elle lâcha son bras aussi vite qu’elle l’avait agrippé.
    C’est alors que Roger prit les choses en main. Habitué à gérer les situations délicates, le maître d’hôtel entraîna Sophie et

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