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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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sportives, à la façon du champion de tennis Borotra qui faisait un footing matinal sur le pont supérieur, tout de blanc vêtu. Enfin, clou très attendu de la promenade, on allait tour à tour se lever contre les vents, à la proue, comme si de cet endroit seulement on pouvait faire corps avec ce magnifique animal d’acier blanc. On restait là, on s’agrippait fermement à la rambarde, et on respirait à pleines narines en écartant les bras pour faire entrer en soi la force de cet air qu’on imaginait plus pur que tous les airs du monde, parce qu’il se trouvait là, en plein océan, au milieu de nulle part. Enfin, après avoir bien inspiré à s’en faire éclater les poumons, on repartait en titubant un peu, grisé de puissance, bouleversé, avec le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’unique.
    — Tiens, regarde qui voilà, dit Béatrice en désignant l’Académicien qui semblait au mieux de sa forme.
    Lui aussi les vit de loin et leur fit un petit signe amical, mais, alors qu’elles s’attendaient à le voir venir vers elles et à prendre des nouvelles de la veille, comme il eût convenu, il continua sa promenade, mains dans le dos, concentré sur sa discussion avec son compagnon. Apparemment, il était subjugué par cet homme auprès duquel il déambulait sur le pont véranda et ne semblait pas tenir le moins du monde à interrompre ce moment.
    — Quel mufle ! dit Béatrice.
    — Entre votre conversation et celle de ce type, je peux le comprendre, lança un confrère, narquois.
    — Ah bon ! Et qu’est-ce que tu fais avec nous, alors, tu devrais courir te joindre à eux, répartit Béatrice.
    — Je ne sais pas si l’Académicien apprécierait mon intrusion, et, moi, je préfère me promener avec de jolies filles qu’avec un écrivain, si brillant soit-il.
    Sophie avait horreur de ce genre de remarque qui les plaçait toujours sur le terrain de la séduction et jamais sur celui du savoir ou de l’intelligence. Comme si l’un et l’autre étaient incompatibles. Mais elle n’avait pas envie de parlementer.
    — Vous savez qui est le type à ses côtés ? continua alors le confrère, soucieux de montrer ses connaissances en matière de célébrités.
    Cette fois, Sophie ne put se retenir. Elle en avait assez que celui-là les prenne pour des gourdes, voire pour des incultes. Sans lui laisser le temps d’en placer une, elle rétorqua :
    — C’est Joseph Kessel. Et je peux même te dire quel est le sujet de leur conversation sans craindre de me tromper.
    Le confrère en fut coi. Il allait ouvrir la bouche pour en rajouter, mais elle ne lui en laissa pas le temps.
    — ... L’Académicien et lui se sont connus au Mercure de France et au Figaro, et on parle de Kessel pour le prochain siège à l’Académie en remplacement de Brion, en novembre. Forcément, ça intéresse notre ami au plus haut point puisqu’il se voit lui aussi un jour sous la coupole. Il cherche des alliés futurs.
    Elle fit une pause et, devant les yeux ahuris de l’autre qui venait de se faire souffler l’information, elle enchaîna à toute vitesse :
    — Kessel, l’écrivain nomade qui a volé au Sahara sur l’Aéropostale et navigué sur la mer Rouge avec les négriers. Kessel qui a écrit Belle de jour, Le Lion et... Les Coeurs purs, entre autres...
    Elle cessa les citations. Son interlocuteur reprit ses esprits et à nouveau ouvrit la bouche pour parler. Mais continuant la course et le devançant, elle enchaîna.
    — Kessel qui a tout vu, tout fait : la guerre d’Espagne et les deux grandes guerres, la Résistance, Kessel qui a vu la Chine, l’Inde et l’Afghanistan et...
    — Kessel qui a passé les Pyrénées par chez moi pour rejoindre de Gaulle à Londres et qui a écrit les paroles du Chant des partisans avec son neveu, l’écrivain Maurice Druon.
    Il était bouche bée.
    — Autre chose ?
    — Bon, fit-il, beau joueur. J’abdique et je jure que je ne chercherai plus à vous prendre en défaut.
    Il fit son sourire le plus charmeur, mais, à peine l’avait-il esquissé, qu’un autre confrère, poursuivant le jeu des devinettes, pointa le doigt droit devant lui.
    Un couple s’avançait, élégant.
    — Et eux, qui c’est ?
    Sur un costume gris souris impeccablement coupé, l’homme portait un trench court et souple de cachemire noir et une écharpe malmenée par le vent. À son bras, dans un manteau jaune vif aux lignes pures Pierre Cardin, la femme marchait à l’amble

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