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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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entendu. Maintenant l’officier était seul sur la terrasse, il ajustait son caban et relevait son col. D’une minute à l’autre, il allait sauter le bastingage, redescendre sur le pont où elle se trouvait, et la surprendre. Effrayée à la perspective de se retrouver face à l’homme qu’elle venait de découvrir sous un autre jour, elle fila sans demander son reste.
    Elle avait à peine rejoint sa cabine que la tempête reprit, plus forte encore qu’au début de la nuit. Nez collé à la baie vitrée, elle repensait à l’appareil du photographe englouti dans les eaux noires et furieuses. Un frisson la parcourut. Elle était encore sous le choc de toute cette fureur des événements de la nuit, quand elle vit l’officier Vercors arriver au plein coeur des gerbes de mer, dans l’écume qui s’écrasait sur l’acier blanc du pont. Il regagnait sa cabine après la bagarre, et il la découvrit dans le halo doré du salon, juste quand il fut à sa hauteur de l’autre côté de la vitre. Elle paraissait irréelle, isolée dans la douce chaleur de l’intérieur du navire, alors qu’il était au coeur des eaux glacées et du froid bleu de la nuit sombre. Dans le long et fin déshabillé de soie blanche qu’elle avait eu le temps de passer en rentrant, elle le regardait venir. Il s’arrêta. Ils étaient maintenant face à face. Une seule vitre les séparait. La pluie ruisselait sur l’officier. On aurait cru qu’il sortait tout droit de l’enfer. Son visage était tendu, ses traits marqués. Devant la souffrance qui se lisait sur son visage, les craintes de Sophie s’évanouirent. Oubliant la violence à laquelle elle avait assisté, elle posa sa main contre la vitre, à hauteur de son visage, dans un de ces gestes instinctifs d’apaisement qu’ont parfois les femmes. Il vit cette main venir à lui et les traits de son visage se relâchèrent petit à petit, comme si, par-delà le verre, la main de Sophie avait touché sa peau et qu’à ce seul contact de douceur la paix soit revenue.
    Ce sont des moments simples et purs comme celui-là qui donnent aux êtres humains leur part de grâce en ce monde. Tout le mal disparaît, toutes les souffrances et toutes les peurs. Le coeur de l’homme en ces brefs instants accède à des sentiments infinis.
    Sophie n’avait aucun maquillage, aucun apprêt. L’émotion de ce qu’elle venait de vivre se lisait sur son visage encore inquiet, et Pierre Vercors en fut touché. Elle vit son regard s’éclairer, et devant l’étrange beauté de cet homme dans la nuit, elle se sentit gagnée par une immense fièvre. Il la regardait, ému, la pluie ruisselait sur son front. Il la balaya d’un revers de la main et c’est alors que Béatrice appela depuis la chambre :
    — Sophie ? Que se passe-t-il ? Sophie se retourna pour lui répondre.
    — Rien, rien, rendors-toi, c’est rien.
    Mais quand elle se retourna à nouveau, l’officier avait disparu.
    Elle se colla à la vitre et le chercha fébrilement du regard sur le pont. En vain. Seules les eaux déchaînées continuaient à rugir.

 
    36
    La journée du lendemain se passa sans qu’apparemment rien ne vienne troubler le cours des choses. En ce troisième jour, les passagers manifestaient une gaieté particulière, comme si la tempête de la nuit avait donné au paquebot une aura de plus. Le bruit avait couru qu’elle avait atteint un record de violence et on savait que le commandant était resté à la barre toute la nuit. On le disait époustouflé par les capacités de son navire. Le France avait surmonté les difficultés sans effort et il n’avait jamais été contraint de dévier de sa route, ni montré le moindre signe de faiblesse. Le bruit de cette performance s’était propagé partout et il donnait à tous les passagers le sentiment d’être invulnérables. Ils avaient subi l’épreuve des grands fonds et ils en étaient sortis vivants. Rien ne pourrait plus leur arriver, et si certains avaient gardé au fond d’eux quelque peur cachée, quelque souvenir d’affreux naufrage, quelque image entrevue du Titanic sombrant, cette peur avait été balayée par l’exploit de ce paquebot moderne qui faisait basculer le monde envoûtant, mais suranné des lourds transatlantiques dans une ère nouvelle, dynamique, légère et fiable.
    Le soleil de février brillait, et le ciel était redevenu d’un bleu pur. On se promenait sur les ponts, on souriait, on affichait d’élégantes tenues de jour,

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