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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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de son compagnon en vérifiant discrètement l’effet qu’ils produisaient sur les autres passagers.
    — Qu’est-ce que tu t’imagines ? dit alors Béatrice. Que tu es le seul à être invité aux soirées parisiennes ? Ce couple, c’est le baron et la baronne Empain.
    Le confrère poussa un grand soupir pour montrer combien il était bluffé, et Béatrice éclata de rire. Pris par leur amusement, ils continuèrent ainsi à jouer à qui est qui au gré des rencontres, pointant ça et là un petit homme à lunettes avec un appareil photo qui s’avéra être le dramaturge Marcel Achard, une rousse sulfureuse sur laquelle il leur fut impossible de mettre un nom, un monsieur au style très sérieux dans lequel ils reconnurent un grand joaillier de la place Vendôme, un groupe de mannequins venu pour le défilé de haute couture française de la collection été prévu à l’arrivée à New York, et ainsi de suite. Seule Sophie était ailleurs. Prétextant l’oubli de son foulard Hermès à la suite Provence, elle les quitta juste avant qu’ils n’aillent à la proue et parvint enfin à se retrouver seule. Ce qu’elle souhaitait depuis le tout début de cette journée. L’euphorie des premiers moments, où elle avait eu plaisir à jouer à la passagère du France, en prenant un chic distant et indifférent digne d’une star de cinéma, avait disparu. L’insouciance l’avait quittée. Elle n’était plus la jeune femme gâtée et trépignante qui avait décidé de faire de ce voyage une parenthèse éblouie. Sophie ne voyait plus rien, n’entendait plus rien et ne pensait plus à rien, qu’à l’officier. Elle fermait les yeux pour faire réapparaître son visage trempé de pluie tel qu’il était apparu dans la fureur de la tempête. Ce Pierre Vercors, elle voulait le revoir à tout prix, et ceux qui la croisèrent s’étonnèrent de la voir marcher avec sur les lèvres un sourire béat et un regard perdu. Elle marcha longtemps, arpenta tous les ponts de la proue jusqu’à l’arrière, de bâbord à tribord. Elle fermait les yeux pour ressentir à nouveau, et retenir plus longtemps dans sa mémoire, ce moment de douceur quand, posant sa main contre la vitre, elle avait vu le visage de Pierre Vercors se détendre, apaisé de ce contact virtuel sur sa peau. Elle ferma sa main et la tint bien fermée comme si elle voulait garder quelque chose de ce contact qui avait presque été plus fort que s’il avait eu lieu réellement.
    — Comme les hommes sont étranges, se disait-elle en repensant à la lutte sur la terrasse. On rêve de se blottir entre leurs bras et, quand on y est, on risque tant de choses.
    Elle repensait à la violence stupéfiante de l’officier, aussi à ce photographe qui n’était ni meilleur ni pire qu’un autre, et qui pourtant avait failli la jeter à l’eau quand son orgueil avait été atteint. La violence gagnait vite les hommes. Et cet officier, qui était-il vraiment ? Elle ne le connaissait pas, ne savait même pas son nom. Elle avait cru qu’il était un homme de devoir, peut-être même un homme rigide, et elle l’avait découvert tout autre dans la nuit. Violent, instinctif, animal. Et depuis qu’elle l’avait vu ainsi, il la fascinait. Elle savait sans le dire jamais qu’elle n’aimait que les indisciplinés, ceux qui risquent tout, même ceux qui s’abîment. Sophie était ainsi, toujours à se pencher au bord des gouffres.
    Malgré ses airs d’aventurière, elle avait suivi la rigoureuse ligne familiale faite de valeurs simples et de travail, mais elle n’aimait que les insoumis, et, tout au fond d’elle, elle avait toujours espéré en rencontrer un qui sorte de la norme. Depuis cette nuit, elle savait qu’elle l’avait traité. Le destin l’attendait dans cet homme. Elle l’avait pressenti dès le premier jour de l’embarquement, au Havre. Et elle aurait pu redire au mot près ses pensées d’alors : « Personne n’échappe à son destin. Le mien viendra un jour de grand vent ou de violente tempête, et il balaiera tout sur son passage, la banalité des jours et l’ennui. Rien ne résiste au destin. »
    Voilà ce que croyait Sophie le jour où elle posait le pied sur le France pour la première fois, le jour où elle devenait la passagère du France. Et les événements venaient peut-être de lui donner raison, elle en était sûre !
    L’officier avait penché la tête en arrière pour regarder le ciel bleu. Tout en lui vibrait

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