La Perle de l'empereur
personne.
— Il est parti hier soir pour la Bretagne où sa mère est malade, leur confia un concierge imposant comme un suisse d’église. Il a même laissé un petit mot pour Monsieur le Marquis au cas où il rentrerait pendant son absence…
— Et le marquis vous ne sauriez pas où il est ?
— Quand il part en voyage, il ne dit jamais où il va, maugréa l’homme. Même son valet Gontran ne sait pas toujours où il est. Et il voyage souvent…
— Il n’aurait pas une maison de campagne, un château, ou quelque chose d’approchant en province ?
— À part le château de famille en Espagne, je n’ai jamais entendu parler de ça. Et même en Espagne je ne sais pas où ça se trouve…
Il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser ! Quel résultat ! Étrange, d’ailleurs. Ces gens qui jugeaient utile de filer n’importe où dès que l’on avait le dos tourné !
— Je sens, émit Théobald, que Monsieur va être d’une humeur exécrable et j’aimerais mieux que Monsieur la passe sur quelqu’un d’autre que moi.
— Désolé, mon vieux, tu es tout ce que j’ai sous la main ! lâcha Adalbert en embrayant férocement pour rentrer chez lui. Ou alors trouve-toi un remplaçant…
— Pourquoi pas M. La Tronchère ? Monsieur m’a bien dit qu’il l’avait retrouvé cette nuit ?
— Ça, pour une idée, c’est une idée ! D’ailleurs, il ne serait peut-être pas mauvais d’aller voir ce qui se passe dans la maison près du chemin de fer ! Je te dépose chez nous et je file.
Tandis que la petite Amilcar rouge pétaradait sur la route de Saint-Cloud, Adalbert entendait dans sa tête des trompettes sonner la charge. Il avait besoin de se défouler et quiconque lui tomberait sous la main passerait un mauvais quart d’heure…
La vieille bâtisse de l’homme à la Renault noire se montra aussi décevante que le quai d’Orsay. Adalbert n’y vit rien qu’il n’eût déjà vu la nuit précédente. Personne n’y était revenu depuis que Karloff et lui l’avaient visitée… Aussi les roues de la petite voiture rouge le portèrent-elles tout naturellement vers le gîte de son ennemi. À des abords un peu distants, car le bruit et la couleur de l’Amilcar étaient trop aisément repérables. Adalbert choisit un bouquet d’arbres à l’entrée d’une propriété et s’en alla à pied vers la tanière du rat des musées privés.
Rien n’avait bougé là non plus. La rue était aussi déserte que la nuit précédente. On n’y entendait rien ; on ne voyait personne. En foi de quoi Adalbert escalada derechef la petite grille et fit le tour de la maison afin d’y pénétrer par la porte de la cuisine. Au cours d’une carrière déjà longue où il lui était arrivé d’entrer chez les autres sans y être invité, l’archéologue savait que les portes de service sont presque toujours moins bien défendues que les entrées principales. Il n’eut besoin que d’un seul petit outil pour venir à bout de celle-là et se retrouva bientôt dans la cuisine où il avait vu La Tronchère se faire des œufs au plat. Il n’y avait personne, mais tout était propre et bien rangé.
Ainsi renseigné sur les capacités ménagères de son ennemi, Adalbert entreprit la visite de la maison qui se composait, pour le rez-de-chaussée, d’un salon et d’une salle à manger de part et d’autre d’un couloir central d’où un escalier montait à l’étage. Mais, dès son entrée dans la première pièce, il eut l’agréable surprise de retrouver quelques-uns de ses chers trésors : de magnifiques vases canopes décoraient une salle à manger qui sans eux eût été banale. Quant au salon, il était orné de deux importants fragments de fresques, d’une statue d’Isis en basalte noir avec des ornements d’or, d’une admirable tête de la vache sacrée Hathor portant entre ses cornes le disque solaire, d’un très beau sarcophage thébain privé de sa momie mais encore en possession de son cercueil en bois de cèdre brillamment enluminé, d’une collection de statuettes en malachite, d’autres vases canopes et, dans la vitrine d’une autre collection de bustes, de fragments variés et de papyrus peints qui eussent fait le bonheur du Louvre ou du British Museum. C’était fort bien entretenu mais, dans ce décor d’une affligeante banalité, les plus belles pièces prenaient un air tristounet : elles avaient l’air en exil chez la concierge !…
Adalbert était en
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