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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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pierres, et elle pensait que le Franc était très bon, de l’avoir amenée là.
    Et lui ne pensait qu’au moyen de trouver une cachette dans les rochers et de se débarrasser de l’enfant. À la tombée de la nuit, il descendrait vers la route ; il croyait comprendre dans quelle direction il fallait marcher pour y arriver. « Une fois sur la route, pensait-il, je n’aurai qu’à marcher, la nuit, personne ne me verra, et au matin je suivrai les premiers passants allant à Jérusalem. »
    « Munirah, voici le mullah qui crie az-zuhr, rentre chez ta mère pour manger. Tu reviendras me chercher. — Munirah veut rester avec le Franc. — Non, ya sghyrat, le Franc veut rester prier tout seul. — Munirah sait prier comme le Franc. — Non, elle ne sait pas. Va, colombe. Va manger. » L’enfant, docile, se mit à courir vers le village. Il la rappela : «  Ya, Munirah !  » Elle revint et se blottit dans ses bras. Il dit : « Munirah est belle. Ta robe aussi est belle. Ta poupée est belle, Munirah. Kahla Munirah, kahla bezzaf.  » L’enfant, comme si elle avait senti quelque chose, se mit à pleurer ; puis elle s’enfuit, sautant sur les pierres et chantonnant une chanson que le Franc lui avait apprise : Vante l’ore et li raim crollent. Vante l’o-ore..e…
    Il faisait chaud, l’air était sec. Il fallait marcher lentement, chercher du bout du bâton les obstacles à éviter. Il croyait être dans des taillis de ronces, il avait déjà dépassé les arbres, il ne savait plus depuis combien de temps il marchait, pris par on ne sait quelle rage têtue de vieillard : se cacher d’abord, se cacher de telle façon qu’on ne pût le trouver ; la nuit, il descendrait vers la route ; ce ne devait pas être difficile, il croyait savoir qu’il n’y avait là ni pente trop raide ni grands rochers. Il n’irait pas vite, bien sûr. Mais il y arriverait. Il se coucha entre des buissons, posa par terre le baluchon avec les débris de sa croix, et mangea quelques figues. Il n’y avait plus qu’à attendre le soir. Personne n’irait le chercher là. Il s’endormit et ne fut réveillé que par le froid.
    Alors, seulement, il se rendit compte du danger qu’il courait : il eût peut-être mieux valu être retrouvé par les gens du village que de risquer de se perdre en montagne. En bas, au loin, il entendait pleurer les chacals. Et, au hasard, il se mit à descendre, s’accrochant aux buissons d’épines ; le ballot avec la croix se balançait à chaque pas et lui blessait le dos. Ses pieds étaient pleins de ronces et brûlaient, et il avait si froid qu’il claquait des dents. Jamais nuit ne lui avait paru si longue. Il rampait presque, contournant les rochers, s’engageant dans des taillis de ronces qui devenaient inextricables, et il lui fallait renoncer à descendre, il remontait, essayait de trouver une autre issue.
    « Eh quoi, c’est la nuit, pensait-il, je n’ai qu’à me dire que c’est une nuit très noire, que le ciel est couvert, et que j’y vois encore mieux qu’un homme qui aurait des yeux ; voilà, je sens la moindre pierre, je sais que par là ça monte, et là il doit y avoir une pente ; je n’ai qu’à me laisser glisser un peu, je descends depuis longtemps, je finirai bien par arriver sur la route. »
    Le balluchon l’encombrait, et il n’osait pas le jeter, c’était tout de même la croix sur laquelle il avait si longtemps prié. Il la reformerait à nouveau et la ferait bénir à Jérusalem. « Ça ne peut descendre que vers la route. Je ne suis tout de même pas sur l’autre versant. La route suit la vallée et, au petit matin, il y passera sûrement quelqu’un. Je les entendrai de loin, je leur ferai signe. Qui peut empêcher un mendiant d’aller à Jérusalem ? Je suis si noir qu’on me prendra pour un chrétien du pays. »
    Épuisé, il s’arrêta au pied d’un rocher, fit une courte prière et but quelques gorgées d’eau. Ne jamais boire beaucoup en route. Avec six gorgées, trois fois par jour, j’en aurai peut-être pour deux jours. Malgré lui, il commençait à se dire qu’il ne trouverait peut-être pas la route, ce matin-là.
    Il se releva, tout trempé de rosée. Le sol, les buissons, les herbes, tout était mouille, comme après la pluie ; il lécha ses mains, suça des herbes pour ne pas entamer sa réserve d’eau. Après cette nuit glacée, il était tout secoué par la fièvre, et la chaleur venait rapidement, et tout à

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