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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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l’air des montagnes qui devait venir de là-bas, repris par son désir absurde et têtu, plus fort encore que le mal du pays : poser sa tête sur les pierres du Saint-Sépulcre, entendre la messe là où avait reposé le corps de Jésus-Christ. La première fois il l’avait vue au temps du roi Baudouin, le lépreux, ville chrétienne et pleine d’églises et de couvents. Et la seconde fois, sous Saladin, ornée de bannières à croissants et les églises transformées en mosquées. Mais eussent-ils rasé la ville, le Saint-Sépulcre serait toujours là, et le Calvaire, et le mont des Oliviers. Seigneur, nos corps sont nés là où vous avez voulu, comme ceux des bêtes ; mais nos âmes sont nées là-bas.
    Munirah, assise aux pieds du vieux, jouait avec sa poupée de bois et lui chantonnait une vieille berceuse champenoise qu’elle avait apprise du Franc. Et, de temps en temps, elle tirait le vieux par la main pour lui demander si sa poupée était belle. Il disait : «  Na’ma, ya sghyrat », oui, petite. Pour celle-là du moins il n’était pas aveugle. Elle lui criait de regarder un aigle planant dans les airs ou un cavalier sur la route, et riait et battait des mains quand il regardait dans la mauvaise direction : elle s’étonnait de le voir si bête, et il en riait avec elle. « Mon enfant païenne, c’est toi qui m’auras fait la plus grande charité que j’aie reçue, et tu n’en sais rien. Et je te vois, Munirah, tu es la plus belle de toutes les filles, et ta poupée la plus belle de toutes les poupées, tu peux en croire ton vieux Franc. Peut-être mourrai-je avant que tu comprennes que le Franc n’a rien dans la tête qu’un trou tout noir. »
    Les monts se couvraient de lavande et d’anémones et de thym et de romarin, et tous les buissons du maquis n’étaient plus que fleurs roses et blanches et jaunes, et leur senteur était si forte que le village en était tout embaumé. Le moindre coup de vent venait mêler le parfum des fleurs aux odeurs de purin, de ranci, de fumier frais et de cuisine, et toutes ces odeurs, dans l’air âpre et pur du printemps, étaient douces aux narines et remplissaient le cœur de joie. Le ciel était couvert d’oiseaux qui repartaient dans leurs pays, de hérons, de cigognes, d’hirondelles, et à leur passage, l’air vibrait de leurs cris. « Y en a-t-il qui rentrent dans le pays de chez nous ? » se demandait le vieux. Il pensait aux hirondelles qui nichaient sous le toit du donjon. « Finie ma vie. Ni vivante ni morte, dame. Ô mon pays, ô printemps de Champagne, la lavande sent autrement là-bas, et le thym et le romarin. L’eau a un autre goût, le fumier une autre odeur. »
    La saison de Pâques approchait, et le vieux se désespérait de ne pas savoir exactement quel jour ce serait. Il essayait de calculer, sur les mois musulmans, et demandait à Ali où en était la lune, et puis, il y avait à Naplouse des chrétiens syriens, il devait bien y avoir moyen de savoir quand ils célébraient leurs Pâques. Et au début de la semaine sainte – ou de ce qu’il croyait l’être – il demanda à Ali de le mener, par courtoisie, vers un endroit solitaire où il pût faire ses dévotions, et aussi de lui donner moyen de se laver et de se tailler la barbe et les cheveux. Ali n’osait pas mener un incirconcis aux bains ou à la fontaine du village, mais il le conduisit au dehors des remparts, dans un petit bois de cèdres, et lui apporta une jarre d’eau, un peu d’huile et des ciseaux à tondre les moutons. Et pendant plusieurs jours, Munirah le mena là, le matin, pour venir le chercher le soir. Et là, seul, loin des bruits du village, il restait des heures entières prosterné face contre terre ou à genoux, calculant les heures d’après les appels du muezzin et se redisant tant bien que mal ce qu’il pouvait se rappeler des psaumes et des chants du jour. Il avait déblayé quelques pouces de terre au pied d’un des cèdres, et avait accroché au tronc une croix faite de branches, et avait suspendu dessus sa croix de corps aux reliques de saint Pierre, pour prier du moins devant un objet consacré.
    Pour se laver, la chose n’avait pas été facile ; il était si couvert de crasse qu’il finit par s’arracher presque la peau à force de se frotter avec du sable et des cendres, car il ne fallait pas gaspiller l’eau. Et ses vêtements étaient tout pourris, et après le lavage il n’en restait que des lambeaux si raides

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