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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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présent était sec et brûlant, jusqu’aux feuilles d’acanthe et de romarin qu’il cueillait pour les mâcher. Il essaya de descendre encore, et fut arrêté par des ronces, il fallut remonter encore pour les contourner et, à la fin, il ne savait même plus s’il descendait encore.
    Il savait bien que la vallée était quelque part en bas, à sa droite, mais aucun bruit ne lui parvenait, pas le moindre son de clochette, pas un cri. Le village devait être loin, il n’avait pas entendu l’appel pour la prière du matin.
    Il parvint sur une pente dégagée, roula sur des pierres, manquant de perdre son bâton et son ballot, à présent, les buissons devenaient rares, il n’y avait plus d’arbres. Il trouva quelque chose qui ressemblait à un sentier, et marcha assez longtemps, la pensée qu’il allait enfin vers la route lui redonnait des forces. Le temps passait, la chaleur et la soif le tourmentaient de plus en plus. Et le silence de la montagne, coupé seulement par les cris des corbeaux et des vautours, le remplissait d’une angoisse qui grandissait à chaque pas. Il était sûr, à présent, d’avoir pris la mauvaise direction : la route était de l’autre côté, derrière la montagne. Il était dans une vallée déserte.
    Une nuit avait passé, un jour encore. Le vieux n’avait plus de figues ni d’orge, plus d’eau dans sa gourde, et il attendait la rosée du matin pour se désaltérer un peu, le brusque passage de la chaleur au froid l’épuisait tellement qu’il ne pouvait plus marcher, la nuit. Au matin, il but tout ce qu’il put trouver de rosée, suça les vêtements qui séchaient avec une rapidité désespérante, puis se coucha.
    C’était fini. Il ne bougerait plus de cette pierre. Il n’en avait pas la force. Dans un demi-sommeil pénible, où il luttait contre l’évanouissement, il croyait entendre des cloches sans fin qui sonnaient le glas, se répondant les unes aux autres. Les moustiques le piquaient au visage, lui rentraient dans l’œil, et il n’avait pas la force de les chasser ; ils ne s’en allaient même pas s’il secouait la tête. Vers le soir, il se leva et essaya de marcher encore, harcelé par une crainte qui allait jusqu’à l’obsession : il ne voyait rien, la route était peut-être tout près, à deux pas, ses bourdonnements aux oreilles avaient pu l’empêcher d’entendre passer les voyageurs, et il pouvait encore en rencontrer qui l’amèneraient à Jérusalem. C’était une lâcheté de renoncer, quand il en était peut-être si près. Dieu ne l’avait pas amené là pour l’abandonner.
    Et son baluchon sur l’épaule devenait lourd comme si le bois s’était changé en plomb, et cela lui brisait les reins, et il n’osait pas le jeter, c’était quand même une croix, bien qu’elle ne fût ni bénie ni consacrée.
    Puis il buta contre une pierre et tomba, et perdit son bâton : il l’entendit rouler au loin sur la pente, à une vingtaine de pas. Et il se mit à jurer comme il n’avait pas juré depuis des années, en français et en arabe ; et des larmes de rage lui coulaient de l’œil, il les but, et but aussi le sang qui coulait de son genou blessé.
    « Mon Dieu, je n’ai plus de forces. Mon Dieu, que m’avez-vous fait là ? Je vais mourir. Mon Dieu, je voudrais boire, j’ai soif. Seul Ami vrai, ne me laissez pas mourir maintenant, j’ai peur. Et je sais bien qu’il est temps, mon Dieu, grand temps, je suis vieux ; mais je veux entendre la messe encore une fois, je veux entendre le parler de mon pays.
    » Ami seul, ne me laissez pas mourir maintenant. Je ne veux pas mourir seul. Pas une nuit depuis le berceau je n’ai dormi sans compagnon, et voilà que depuis trois jours je n’ai pas entendu de voix d’homme, et j’en deviens fou. J’ai le cœur et la tête tout béants du désir d’entendre une voix d’homme. Un homme seul est comme une bête.
    » Mon Dieu, depuis trois jours je marche, sans rien voir, et le corps brisé, parce que je voulais retrouver mes frères dans la foi, et vous ne me les avez pas fait retrouver. Que ne m’avez-vous laissé alors près des païens, qui étaient aussi comme des frères pour moi ?
    » Mon Dieu, je ne veux pas mourir. Je ne peux pas mourir comme il faut, en l’état où je suis. Je n’ai personne qui me dise pour moi les prières, et ma tête se trouble. Je ne peux penser à rien, j’ai si soif. Mon Dieu, si du moins vous m’envoyiez la pluie, puisque le mois des

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