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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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m’accuse d’avoir chassé mon père de sa maison. »
    Depuis la mort du vieil Haguenier, son beau-père, il s’était senti chez lui à Hervi ; il avait géré les terres et entretenu le château mieux qu’un intendant payé n’eût pu le faire. Et juste au moment où il pensait avoir enfin les coudées franches et organiser comme il faut les deux domaines, voilà que ce garçon lui tombait sur la tête et déjà ses hommes de Hervi commençaient à lui faire sentir que c’était Haguenier le vrai maître du château. « Ah non, pensait-il, ce n’est pas encore demain qu’ils lui prêteront serment. J’ai bien gagné le droit de tenir la terre aussi longtemps que je voudrai – si ce blanc-bec doit attendre jusqu’à trente-sept ans comme je l’ai fait, il attendra – et ce n’est pas moi qui m’en irai sur la route pour un mot dur de lui.
    » Mais pourquoi est-ce ma destinée de n’être à ma place nulle part ? » Il aurait dû naître fils de comte – aîné, pas cadet, ah ! non. Quel père n’eût pas été fier d’un fils comme lui, un garçon qui, à quatorze ans, bandait des arcs que des hommes faits trouvaient trop raides, et domptait des étalons sauvages ? À lui, son père en avait simplement voulu d’être plus fort et plus adroit que son aîné. Tout ce qu’il avait pu faire, enfant, pour s’attirer les bonnes grâces du père, tournait contre lui, parce que le père était jaloux de lui, pour l’aîné. Et pourtant, il n’avait jamais été jaloux de son frère, et de cela même personne ne lui avait tenu compte.
    Et il lui semblait que tout le monde ne lui trouvait que des défauts, alors qu’il se croyait plein de qualités ; il était bien forcé dans ce cas de ne pas trop compter avec l’opinion des autres et de vivre comme bon lui semblait. On le trouvait cupide et paillard, mais il était sûr que les autres l’étaient tout autant que lui, et étaient simplement trop hypocrites pour l’avouer.
    Et ses pensées prenaient aussitôt un tour plus agréable – cupide : était-ce un défaut ? il était simplement un homme raisonnable, et qui savait que plus un homme est fort plus il a de liberté ; s’il arrivait à se tailler un grand fief en réunissant plusieurs terres sous sa main, il tiendrait mieux tête aux baillis du comte qui s’en prenaient aux vieilles franchises des seigneurs terriens. Par cela, il rendait service à toute la noblesse du pays, et les petits châtelains ne lui donnaient que son dû en lui envoyant leurs fils en service. S’il pouvait réunir à ses domaines Buchie, Baudement et Ermele, il aurait le plus grand fief de la châtellenie et pourrait commander les passages des routes locales et avoir sa part sur les routes comtales. Il pourrait alors faire fortifier et embellir Linnières et y tenir grande garnison.
    Mais que sert à un homme de gagner le monde s’il perd son âme ? Et encore le monde ! pensait Herbert avec un petit ricanement triste, un lopin de terre de sept lieues de long et quatre de large ! Lui qui avait vu étoffes et boiseries, assez belles pour payer toute cette terre, brûler comme de la paille à Constantinople ! Le beau gâchis. Ah ! il avait vu de belles choses dans sa vie. Il n’était pas un marchand de laine ni un banquier, il savait jouir de la vie. De l’argent – il avait vidé ses coffres pour l’adoubement de son fils et n’y pensait même plus. Il trouvait assez de gens pour le servir gratis, assez de marchands qui lui faisaient crédit, assez de revenus légaux et illégaux pour rattraper le tout en deux ans.
    Il n’avait qu’à regarder un homme bien en face pour lui faire baisser les yeux – on ne l’estimait pas, il le savait bien, mais personne ne tenait à avoir pour ennemi Herbert le Gros. Il contemplait avec un sourire dur ses mains blanches, trop petites pour sa taille. « Je ne suis pourtant pas méchant, pensait-il. Diable non. » Et de nouveau il était content de lui et calme. Et il savait pourquoi – une idée qui n’avait fait que passer dans sa tête venait de s’y fixer et prendre forme : Garnier, le seigneur de Buchie, était vieux et de mauvaise santé, et sa femme était sa sœur à lui, Herbert, il pouvait trouver moyen de la prendre sous sa tutelle une fois veuve et d’obtenir ainsi le contrôle du fief. Il fallait en parler au plus tôt au vicomte de Paiens. « Le bonhomme a le foie pourri et ne peut pas boire. Il a déjà eu une crise à la fête,

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