La pierre et le sabre
sous-estimer
leur ennemi, il ne se trouvait pas de lâches parmi eux.
— Le voilà ! cria un
homme qui se tenait à la périphérie.
Les ombres se pétrifièrent. Le
sang se glaça dans les veines de chacun des samouraïs.
— Du calme. Ce n’est que Genjirō.
— Comment ? Il arrive en
palanquin !
— Et alors ? Ce n’est qu’un
enfant.
Les lanternes qui s’approchaient
lentement, balancées aux vents froids du mont Hiei, paraissaient ternes en comparaison
du clair de lune. Quelques minutes plus tard, Genzaemon descendit de son
palanquin en déclarant :
— Je suppose que nous sommes
au complet maintenant.
Genjirō, un garçon de treize
ans, sortit du palanquin voisin. Le père et le fils portaient des serre-tête
blancs étroitement noués, et leur hakama était retroussé haut. Genzaemon
dit à son fils d’aller se placer sous le pin. Le jeune garçon acquiesça en
silence, tandis que son père lui tapotait le front pour l’encourager, en
ajoutant :
— ... La bataille a lieu en
ton nom mais ce sont les disciples qui se battront. Comme tu es trop jeune pour
y prendre part, tu n’as rien d’autre à faire qu’à te tenir là et à regarder.
Genjirō courut droit à l’arbre
où il prit une pose aussi raide et digne que celle d’un mannequin de samouraï à
la Fête des Jeunes Garçons.
— ... Nous sommes un peu en
avance, dit Genzaemon. Le soleil ne se lèvera que dans un moment.
Il fouilla dans sa ceinture, et en
sortit une longue pipe à gros fourneau.
— ... Quelqu’un a-t-il du feu ?
demanda-t-il avec désinvolture en montrant bien aux autres qu’il était
totalement maître de soi.
Un homme s’avança et dit :
— Monsieur, avant de vous
mettre à fumer, ne pensez-vous pas que nous devrions décider comment il
convient de répartir les combattants ?
— Oui, je crois que tu as
raison. Postons-les rapidement de manière à être bien prêts. Comment vas-tu
procéder ?
— Il y aura une force
centrale ici, près de l’arbre. D’autres hommes se cacheront à une vingtaine de
pas d’intervalle, des deux côtés des trois routes.
— Qui sera ici, près de l’arbre ?
— Vous, moi et une dizaine d’autres.
Par notre présence, nous pourrons protéger Genjirō et nous tenir prêts à
nous joindre à la mêlée quand l’arrivée de Musashi sera signalée.
— Un instant, dit Genzaemon
en méditant sur cette stratégie avec une prudence judicieuse. Si les hommes
sont dispersés de la sorte, ils ne seront qu’une vingtaine pour l’attaquer au départ.
— Certes, mais il sera cerné.
— Pas nécessairement. Tu peux
être sûr qu’il amènera du renfort. Et il faut te rappeler qu’il est aussi
habile à se tirer d’un mauvais pas qu’à se battre, si ce n’est plus. N’oublie
pas le Rengeōin. Il pourrait frapper en un point où nos hommes seraient
très dispersés, en blesser trois ou quatre, puis s’en aller. Après quoi, il
irait partout se vanter d’avoir affronté plus de soixante-dix membres de l’école
Yoshioka, et d’en être sorti vainqueur.
— Jamais nous ne le
laisserons faire.
— Ce serait sa parole contre
la nôtre. Même s’il amène des renforts, les gens considéreront ce combat comme
ayant eu lieu entre lui seul et l’école Yoshioka tout entière. Et leurs sympathies
iront à l’homme d’épée isolé.
— Je crois, intervint Miike Jūrōzaemon,
qu’il va sans dire que s’il en réchappe à nouveau nous ne le ferons jamais
oublier, quoi que nous prétendions. Nous sommes ici pour tuer Musashi, et ne
saurions faire trop les délicats sur la façon de pratiquer. Les morts se
taisent.
Jūrōzaemon ordonna à
quatre hommes du groupe le plus proche de s’avancer. Trois d’entre eux
portaient de petits arcs, et le quatrième un mousquet. Il les disposa face à
Genzaemon.
— ... Peut-être aimeriez-vous
voir quelles précautions nous avons prises.
— Ah ! des armes de jet.
— Nous pouvons les placer sur
les hauteurs ou dans les arbres.
— Ne nous accusera-t-on pas
de recourir à une tactique déloyale ?
— Ce que l’on dira nous
importe moins que d’avoir à coup sûr la peau de Musashi.
— Soit. Si vous êtes prêts à
affronter la critique, je n’ai rien à ajouter, dit le vieil homme avec
soumission. Même si Musashi amène cinq ou six hommes, il a peu de chances d’en
réchapper alors que nous avons des arcs, des flèches et une arme à feu...
Allons, si nous restons plantés ici
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