La pierre et le sabre
nous risquons d’être pris par surprise. Je
vous laisse répartir les hommes, mais placez-les à leur poste sans délai.
Les ombres se dispersèrent comme
des oies sauvages dans un marais ; certains plongèrent dans des halliers
de bambous, d’autres disparurent derrière des arbres ou se tapirent sur les
talus séparant les rizières. Les trois archers montèrent jusqu’à un endroit
plus élevé qui dominait le terrain. Au-dessous, le mousquetaire grimpa dans les
hautes branches du pin parasol. Comme il se faufilait pour se cacher, des
aiguilles de pin et de l’écorce tombèrent en cascade sur Genjirō. Voyant l’enfant
se tortiller, Genzaemon lui demanda sur un ton de reproche :
— ... Déjà nerveux ? Un
peu de courage, voyons !
— Ce n’est pas ça. J’ai des
aiguilles de pin dans le dos.
— Reste tranquille et
supporte-les. Ce sera pour toi une expérience salutaire. Quand le vrai combat
commencera, observe attentivement.
Le long de l’embranchement de l’est,
un grand cri s’éleva :
— Arrête, espèce d’imbécile !
On entendit des froissements de
bambous assez sonores pour avertir quiconque n’était pas sourd que des hommes
se cachaient tout le long des routes. Genjirō cria : « J’ai peur ! »
en s’accrochant à la taille de son père. Jūrōzaemon se dirigea aussitôt
vers le lieu de cette agitation, bien que quelque chose lui dît qu’il s’agissait
d’une fausse alerte. Sasaki Kojirō vociférait contre un des hommes de l’école
Yoshioka :
— Tu ne vois donc pas clair ?
En voilà une idée, de me prendre pour Musashi ! J’arrive ici en qualité de
témoin, et tu te précipites sur moi avec une lance. Quel âne !
Les hommes de l’école Yoshioka
étaient en colère, eux aussi ; certains d’entre eux le soupçonnaient de
les espionner. Ils se retenaient, mais continuaient de lui boucher le passage. Jūrōzaemon
ayant traversé l’attroupement, Kojirō s’en prit à lui :
— ... Je suis venu en qualité
de témoin, mais vos hommes me traitent en ennemi. S’ils agissent sur votre
ordre, je serai plus qu’heureux, pour malhabile homme d’épée que je sois, de
vous affronter. Je n’ai aucune raison d’aider Musashi ; en revanche, j’ai
mon honneur à défendre. D’autre part, cela me fournirait une occasion bienvenue
d’humecter de sang frais ma « Perche à sécher », chose que j’ai
négligé de faire depuis quelque temps.
C’était un tigre crachant le feu.
Les membres de l’école Yoshioka qu’avaient trompés ses airs de bellâtre furent
stupéfaits de son audace. Jūrōzaemon, bien déterminé à montrer que la
langue de Kojirō ne l’effrayait pas, se mit à rire :
— Ha ! ha ! Vous
voilà tout hors de vous, hein ? Mais dites-moi, qui donc au juste vous a
prié d’être témoin ? Je ne me souviens d’aucune requête de ce genre. Serait-ce
Musashi ?
— Ne dites pas d’absurdités.
Quand nous avons apposé l’écriteau, à Yanagimachi, j’ai fait savoir aux deux
parties que je jouerais le rôle de témoin.
— Je vois. C’est vous-même
qui l’avez dit. En d’autres termes, Musashi ne vous l’a pas demandé, non plus
que nous. Vous avez pris sur vous de venir en observateur. Or, le monde est
plein de gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas.
— C’est une insulte !
aboya Kojirō.
— Allez-vous-en ! cria Jūrōzaemon
en postillonnant. Nous ne sommes pas ici pour faire du théâtre.
Kojirō, vert de rage, se
détacha prestement du groupe et recula en courant de quelques pas dans le
sentier.
— Prenez garde, espèces de
salauds ! cria-t-il en se préparant à l’attaque.
Genzaemon, lequel avait suivi Jūrōzaemon,
dit :
— Attendez, jeune homme !
— Attendez vous-même !
vociféra Kojirō. Je n’ai rien à voir avec vous. Mais je vous montrerai ce
qui arrive aux gens qui m’insultent !
Le vieil homme courut à lui.
— Allons, allons, vous prenez
trop au sérieux cette affaire ! Nos hommes sont sur les nerfs. Je suis l’oncle
de Seijūrō, et j’ai appris de lui que vous êtes un remarquable homme
d’épée. Je suis certain qu’il y a eu une erreur quelconque. J’espère que vous
me pardonnerez personnellement la conduite de nos hommes.
— Je vous sais gré de m’accueillir
ainsi. J’ai été en bons termes avec Seijūrō, et veux du bien à la
maison de Yoshioka, quoique je ne croie pas devoir jouer le rôle de second.
Mais ce n’est pas une raison
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