La pierre et le sabre
annoncer l’heure. Matahachi s’étira et
demanda :
— Vous avez attrapé la fille ?
— Non ; pas trace,
répondit-il avec un soupir. Elle était jolie ; aussi les employés ont-ils
cru que même si elle ne pouvait régler sa note, nous pourrions rentrer dans
notre argent en la gardant ici quelque temps, si vous voyez ce que je veux
dire. Hélas ! elle a été un peu trop rapide pour nous.
Assis au bord de la véranda,
Matahachi attachait ses sandales. Après avoir attendu environ une minute, il
cria d’un ton irrité :
— Mère, qu’est-ce que tu
fabriques, là-dedans ? Tu es toujours en train de me presser, mais au
dernier moment tu n’es jamais prête !
— Un instant. Matahachi, t’ai-je
donné la bourse que je porte dans mon sac de voyage ? J’ai payé la note
avec de l’argent que j’avais dans ma ceinture, mais l’argent de notre voyage se
trouvait dans la bourse.
— Je ne l’ai pas vue.
— Viens un peu ici. Voici un
bout de papier avec ton nom dessus. Quoi !... Comment ? Quelle audace !
Cela dit... cela dit qu’étant donné que vous vous connaissez de longue date,
elle espère que tu lui pardonneras d’emprunter cet argent. Emprunter...
emprunter !
— C’est l’écriture d’Akemi.
Osugi se retourna contre l’aubergiste :
— Dites donc ! En cas de
vol d’un client, vous êtes responsable.
— Vraiment ?
répliqua-t-il avec un large sourire. D’ordinaire, ce serait le cas mais puisqu’il
apparaît que vous connaissez la jeune fille, je crains bien d’avoir à vous
prier d’abord de vous occuper de sa note.
Les yeux d’Osugi roulaient
furieusement dans leurs orbites, tandis qu’elle bégayait :
— De... de quoi parlez-vous ?
Comment ? Je n’ai jamais vu de ma vie cette sale voleuse ; Matahachi !
Assez lambiné ! Si nous ne nous mettons pas en route, nous allons entendre
le coq chanter.
Le piège mortel
La lune était encore haut dans le
ciel du petit matin ; aussi les ombres des hommes qui grimpaient le
sentier blanc de la montagne se heurtaient-elles bizarrement, ce qui
accroissait le malaise des grimpeurs.
— Je ne m’attendais pas à ça,
dit l’un.
— Moi non plus. Il y a
beaucoup d’absents. J’étais sûr que nous serions au moins cent cinquante.
— Hum... Il n’y a pas l’air d’y
en avoir la moitié.
— Je suppose que lorsque
Genzaemon arrivera avec ses hommes, nous serons environ soixante-dix en tout.
— Quelle pitié ! La
Maison de Yoshioka n’est certes plus ce qu’elle était.
D’un autre groupe :
— Qu’importe ceux qui ne sont
pas ici ! Le dōjō étant fermé, beaucoup d’hommes doivent penser
d’abord à gagner leur vie. Les plus fiers et les plus fidèles sont ici. C’est
plus important que le nombre !
— Bien dit ! S’il y
avait ici cent ou deux cents hommes, ils ne feraient que se gêner.
— Ha ! ha ! On fait
encore les braves en paroles. Rappelez-vous le Rengeōin. Vingt hommes
debout tout autour, et Musashi s’en est encore tiré !
Le mont Hiei et les autres pics
étaient encore profondément endormis dans les plis des nuages. Les hommes se
trouvaient rassemblés à l’embranchement d’une petite route de campagne ; l’un
des sentiers menait au sommet du Hiei, et l’autre bifurquait en direction d’Ichijōji.
La route était abrupte, caillouteuse et profondément ravinée. Autour du point
de repère le plus visible, un grand pin déployé comme un gigantesque parasol,
se tenait un groupe des principaux disciples. Assis par terre, pareils à autant
de crabes nocturnes, ils discutaient du terrain :
— La route a trois branches ;
aussi la question est-elle de savoir laquelle empruntera Musashi. La meilleure
stratégie consiste à diviser les hommes en trois groupes, et à en poster un à
chaque embranchement. Ensuite, Genjirō et son père peuvent rester ici avec
une troupe d’une dizaine de nos hommes les plus forts : Miike, Ueda et les
autres.
— Non, le sol est trop
accidenté pour concentrer un grand nombre d’hommes en un seul endroit. Nous
devrions les disséminer le long des embranchements, et les maintenir cachés jusqu’à
ce que Musashi soit à mi-pente. Alors, ils pourront l’attaquer simultanément
par le front et par l’arrière.
Il y avait beaucoup d’allées et
venues au sein des groupes, les ombres mouvantes avaient l’air embrochées sur
leurs lances ou leurs longs fourreaux. En dépit d’une tendance à
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