La pierre et le sabre
pour que vos hommes m’insultent.
S’agenouillant pour une révérence
protocolaire, Genzaemon répondit :
— Vous avez parfaitement
raison. J’espère que vous oublierez ce qui s’est passé, pour l’amour de Seijūrō
et de Denshichirō.
Le vieil homme choisissait avec
tact ses paroles, dans la crainte que Kojirō, s’il était offensé, n’allât
révéler partout la lâche stratégie qu’ils avaient adoptée. La colère de Kojirō
tomba.
— Levez-vous, monsieur. Je
suis gêné de voir un aîné s’incliner devant moi.
En une rapide volte-face, celui
qui maniait « la Perche à sécher » mettait maintenant à profit son
éloquence pour encourager les hommes de l’école Yoshioka, et dénigrer Musashi :
— ... J’ai été quelque temps
en termes amicaux avec Seijūrō, et, comme je l’ai déjà dit, je n’ai
aucun lien avec Musashi. Il est tout naturel que je sois favorable à la maison
de Yoshioka... J’ai vu bien des conflits entre guerriers, mais n’ai jamais été
le témoin d’une tragédie comme celle dont vous êtes les victimes. Il est
incroyable que la maison qui a servi les Shōguns Ashikaga en tant qu’instructeurs
dans les arts martiaux soit discréditée par un simple lourdaud de la campagne.
Ces paroles, prononcées comme si Kojirō
eût délibérément essayé de leur échauffer les oreilles, furent accueillies avec
une attention ravie. Sur la face de Jūrōzaemon était peinte une expression
de regret d’avoir parlé si grossièrement à un homme qui n’avait que
bienveillance envers la maison de Yoshioka. Cette réaction n’échappa point à Kojirō.
Il prit son élan :
— ... Dans l’avenir, j’ai l’intention
de fonder ma propre école. Ce n’est donc point par curiosité que j’observe les
combats et étudie la tactique des autres guerriers. Cela fait partie de mon
éducation. Toutefois, je ne crois pas avoir jamais été le témoin, ou entendu
parler d’un combat qui m’ait plus irrité que vos deux rencontres avec Musashi.
Pourquoi donc, alors qu’un si grand nombre d’entre vous se trouvaient au Rengeōin,
et précédemment au Rendaiji, avez-vous laissé Musashi s’échapper de manière à
pouvoir plastronner dans les rues de Kyoto ? Voilà ce que je ne puis
comprendre.
Il lécha ses lèvres sèches, et
continua :
— ... Certes, Musashi se bat
avec une ténacité surprenante, pour un homme d’épée errant. Si je le sais
moi-même, c’est uniquement pour l’avoir vu à deux reprises. Mais au risque de paraître
me mêler de ce qui ne me regarde pas, je tiens à vous faire part de ma
découverte au sujet de Musashi.
Sans mentionner le nom d’Akemi, il
s’expliqua :
— ... Le premier
renseignement, je l’ai obtenu lorsque j’ai rencontré par hasard une femme qui
le connaissait depuis qu’il avait dix-sept ans. En complétant ce qu’elle m’a
dit avec d’autres bribes d’informations recueillies ici et là, je puis vous
donner un résumé assez exhaustif de sa vie... Fils d’un samouraï de la province
de Mimasaka, il s’est enfui pour aller à la bataille de Sekigahara ;
rentré chez lui, il a commis tant d’atrocités qu’on l’a chassé du village. Depuis
lors, il rôde à travers le pays... Bien qu’il soit un vaurien, il possède un
certain talent au sabre. Et physiquement il est d’une force extrême. En outre,
il se bat sans se soucier de sa propre vie. C’est pourquoi les méthodes orthodoxes
d’escrime sont inefficaces contre lui, tout comme la raison est inefficace
contre la folie. Vous devez le prendre au piège à la façon d’une bête féroce,
ou vous échouerez. Maintenant, considérez quel est votre ennemi, et tirez vos
plans en conséquence !
Genzaemon, avec beaucoup de
cérémonies, remercia Kojirō et entreprit de décrire les précautions que l’on
avait prises. Kojirō approuva de la tête.
— Grâce à tout cela, il n’a
sans doute aucune chance de s’en tirer vivant. Pourtant, il me semble que vous
pourriez inventer une ruse plus efficace.
— Une ruse ? répéta
Genzaemon en considérant d’un regard neuf et un peu moins admiratif le visage
suffisant de Kojirō. Je vous remercie, mais je crois que nous en avons
assez fait déjà.
— Non, mon ami, non. Si
Musashi arrive en montant le sentier de manière honnête, franche, il n’a sans
doute aucune chance de s’en tirer. Mais qu’adviendrait-il s’il éventait votre
stratégie et ne se montrait pas du tout ? Alors,
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