La pierre et le sabre
d’accord, et j’ai
un plan, fit Matahachi tout excité. Si nous arrivons là-bas avant la bataille,
nous pourrons nous présenter aux Yoshiokas et leur dire pourquoi nous
recherchons Musashi. Je suis certain qu’ils nous laisseront porter un coup au
cadavre. Alors nous pourrons prendre une mèche de cheveux, ou une manche, ou
quelque chose comme ça, et nous en servir pour prouver aux gens de chez nous
que nous l’avons tué. Voilà qui restaurerait notre prestige, tu ne crois pas ?
— Ton plan est bon, mon fils.
Je ne vois pas de meilleure solution.
Assise bien droite, effaçant les
épaules, elle semblait oublier qu’elle lui avait autrefois proposé la même
chose.
— ... Non seulement cela
rétablirait notre réputation mais, Musashi mort, Otsū serait comme un
poisson hors de l’eau.
Sa mère ayant recouvré son calme,
Matahachi se sentit soulagé – mais il avait de nouveau soif.
— Eh bien, voilà qui est
réglé. Nous avons quelques heures devant nous. Tu ne crois pas que nous
devrions prendre un peu de saké avant dîner ?
— Hum... bon. Fais-en
apporter un peu ici. J’en boirai un peu moi-même afin de fêter notre victoire
proche.
Comme il posait les mains sur les
genoux pour se lever, il regarda d’un côté, cligna et écarquilla les yeux.
— Akemi ! cria-t-il en
courant à la petite fenêtre.
Elle se blottissait sous un arbre,
tout près, comme un chat pris en faute et qui n’a pas réussi à s’enfuir à
temps. Le fixant d’un regard incrédule, elle hoqueta :
— Matahachi, c’est toi ?
— Que fais-tu ici ?
— Oh ! je loge dans
cette auberge depuis quelque temps.
— Je n’en avais pas la
moindre idée. Es-tu avec Okō ?
— Non.
— Tu ne vis plus avec elle ?
— Non. Tu connais Gion Tōji,
n’est-ce pas ?
— J’ai entendu parler de lui.
— Lui et Mère se sont enfuis
ensemble.
Sa clochette tinta tandis qu’elle
levait sa manche afin de cacher ses larmes. L’ombre de l’arbre avait une
tonalité bleuâtre ; la nuque de la jeune fille, sa main délicate, tout en
elle différait beaucoup de l’Akemi dont Matahachi se souvenait. L’éclat enfantin
qui l’avait tellement charmé à Ibuki, et qui avait consolé sa tristesse au
Yomogi s’était évanoui.
— Matahachi, dit Osugi,
soupçonneuse, à qui donc parles-tu là ?
— C’est la jeune fille dont
je t’ai déjà parlé. La fille d’Okō.
— Elle ? Que
faisait-elle ? Elle écoutait aux portes ?
Matahachi se tourna vers elle en
disant avec irritation :
— Pourquoi toujours de
pareilles conclusions ? Elle loge ici. Elle passait seulement par hasard.
C’est bien ça, Akemi ?
— Oui, j’étais à cent lieues
de te croire ici ; pourtant, une fois, j’y ai vu cette jeune fille appelée
Otsū.
— Tu lui as parlé ?
— Pas vraiment ; mais
plus tard, je me suis posé des questions. N’est-ce pas la jeune fille à qui tu
étais fiancé ?
— Si.
— Je le pensais bien. Ma mère
t’a créé beaucoup d’ennuis, n’est-ce pas ?
Matahachi ignora la question.
— Tu n’es pas encore mariée ?
Tu as quelque chose de différent, je ne sais au juste quoi.
— Après ton départ, Mère m’a
fait la vie dure. J’ai patienté le plus longtemps possible, parce qu’elle est
ma mère. Mais l’an dernier, alors que nous étions à Sumiyoshi, je me suis
enfuie.
— Elle a gâché nos deux vies,
tu ne crois pas ? Mais attends un peu. En fin de compte, elle aura ce qu’elle
mérite.
— Même si elle ne l’a pas, ça
m’est égal. Je voudrais seulement savoir ce que je vais faire désormais.
— Moi aussi. L’avenir ne
paraît pas très brillant. J’aimerais faire la paix avec Okō, mais je
suppose que je me bornerai à l’imaginer.
Cependant qu’ils gémissaient sur
leurs difficultés, Osugi s’était affairée à ses préparatifs de voyage. A ce
moment, elle fit claquer sa langue et dit sévèrement :
— Matahachi ! Pourquoi
restes-tu planté là à te lamenter avec une personne qui n’a rien à faire avec
nous ? Viens m’aider !
— Oui, mère.
— Au revoir, Matahachi. A
bientôt.
L’air abattu et mal à l’aise,
Akemi se hâta de partir. Bientôt, on alluma une lampe, et la servante parut
avec les plateaux du dîner et le saké. Mère et fils échangèrent des coupes sans
regarder la note, posée entre eux sur le plateau. Les serviteurs, venus à tour
de rôle présenter leurs respects, furent suivis par
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