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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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nous accompagner.
    — Ne peut-il l’encontrer seul ?
    — Il le craint. Ce Bahuet est un violent et s’entoure
d’hommes de basse mine.
    — Fidèle en cela aux mânes du chevalier d’Aumale.
    — Ha ! mon Pierre ! « aux mânes d’Aumale » ! Quel giòco di parole [2]  !
    — Je ne l’ai pas fait expressément. Adonc, je le tiens
pour tien.
    — Adonc je le retiens pour mon futur usage.
    — Barguin conclu. Quant à moi, c’est assez « faire
l’accouchée au lit », comme le roi aime à dire. Dépêche Pissebœuf au
« capitaine Tronson » qu’il soit céans dès que se peut. Et mande-moi
Lisette qu’elle m’habille.
    — Cela, mon Pierre, je le peux faire.
    — Fi donc ! Un écuyer a licence de m’armer en
guerre, mais non de me passer mes chausses : c’est là devoir de
chambrière.
    — Le beau devoir ! dit Miroul, son œil marron
quasi autant pétillant que son œil bleu. Et sur cette piqûre, élégant et fluet,
et la taille comme guêpe, il s’envola.
    Mon voisin de la rue Saint-Denis, le « capitaine
Tronson » (il ne l’était que de la milice, ces messieurs de la Basoche et
de la Boutique s’étant donné entre eux ces titres militaires pour avoir
défendu, lors du siège de Paris, des murailles que le roi n’avait mie
attaquées), le « capitaine » donc, si le lecteur se ramentoit, était
une vraie montagne d’homme (ce qui faisait dire à Miroul, que si c’était là le
Tronson, comment donc serait le tronc ?), créature tant large que haute,
plus bedondainante que moine, plus piaffante et paonnante que pas un fils de
bonne mère en France. De son état menuisier, mais étant chiche-face, tirant
clicailles de tout, et fort inquiet de la paix revenue, pour ce que les
cercueils qu’il façonnait ne seraient plus, le siège levé, si plaisamment
nombreux. De reste, Parisien de souche, lequel avait flotté comme tant d’autres
sans sombrer mie dans les marées de nos guerres civiles, épousant leurs flux et
reflux : Saint-Barthélemisard sous Charles IX ; barricadeux sous
Henri Troisième, ligueux sous Mayenne, papiste sans être pieux, rêvant avec les Seize d’un grand massacre des Politiques de la bonne ville et de
la subséquente, succulente picorée de leurs belles maisons ; mais la Ligue
perdant pied, et Navarre gagnant terrain et qui plus est se convertissant,
Tronson s’était converti lui aussi, dépouillant sa vieille peau de ligueux, se
muant en Politique, se mettant l’écharpe blanche et mêlé à la parfin à
ceux qui ouvrirent nuitamment aux troupes du roi les portes de la capitale. Ce
qui avait fait de lui, du moins dans la rue Saint-Denis, un héros dans les
siècles des siècles…
    Les six heures sonnant à l’église des Filles-Dieu, notre
héros apparut à mon huis, cuirassé de cap à pié, suivi de deux de ses
compagnons, armés, eux aussi, quoique de bric et de broc.
    — Hé quoi ! Monsieur le Marquis ? dit-il sur
un ton de familiarité qui ne fut pas sans me piquer : en pourpoint ?
Et avec votre seule épée pour affronter ces désespérés marauds ? C’est
vous mettre prou au hasard de votre vie !
    — Maître-menuisier, dis-je, j’ai mon épée et mon
droit : cela devrait suffire.
    — Voire ! Ce Bahuet fut un des Seize ! Engeance
assoiffée de sang !
    — Et en effet, dis-je d’un ton gaussant, qui les
connaît mieux que vous, compère ? Il fut une époque où vous faisiez aux Seize des révérences à cul ouvert.
    — Les temps ont changé, dit Tronson avec dignité.
    — Et qui change avec eux se nomme girouette.
    — Monsieur le Marquis, dit Tronson gravement, ce n’est
pas la faute de la girouette si elle tourne : c’est la faute du vent…
    Cette friponnerie m’amusa et je ris, mais voulant me mettre
à quelque distance de cet effronté maraud qui le prenait quasiment de haut avec
moi quand je portais ma déguisure de maître-drapier, je pressai le pas, sachant
bien que sa rotondité ne lui permettrait point de se maintenir à mon niveau, et
me retrouvai, bientôt, à deux toises au-devant de lui et de ses compagnons,
Miroul à mon côté, Pissebœuf et Poussevent me suivant, lesquels, ayant été
arquebusiers dans la troupe huguenote de M. de Châtillon, avaient
condescendu à être de mes valets, à condition qu’ils n’en portassent pas le
nom. J’observai, à la raideur de leur démarche, que Miroul, qui les commandait,
avait dû leur ordonner de mettre une cotte de mailles sous

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