La Prison d'Édimbourg
plus de délicatesse qu’on ne devait en attendre de son caractère et du poste qu’il remplissait. La fenêtre de cette misérable chambre était ouverte, et les rayons du soleil tombaient eu plein sur le lit où les deux sœurs étaient assises. Il s’approcha de la croisée avec une attention respectueuse, en poussa doucement le contre-vent, et sembla ainsi jeter un voile sur cette scène de douleur.
– Vous êtes malade, Effie, bien malade ! Tels furent les premiers mots que Jeanie put prononcer.
– Que ne le suis-je cent fois davantage, Jeanie ! répondit sa sœur. Que ne donnerais-je pas pour être morte demain avant dix heures du matin ! – Et notre père… mais non, je ne suis plus sa fille, je n’ai plus d’ami dans le monde. – Oh ! que ne suis-je déjà morte à côté de ma mère dans le cimetière de New-Battle !
– Allons, allons, jeune fille, dit Ratcliffe, qui voulut montrer l’intérêt qu’elle lui inspirait réellement ; il ne faut pas vous décourager. On ne tue pas tous les renards qu’on chasse. Nicol Novit est un fameux avocat : il a tiré plus d’un accusé d’affaires aussi glissantes que la vôtre. – Et puis, pendu ou non, c’est une satisfaction de savoir qu’on a été bien défendu. Vous êtes jolie fille d’ailleurs ; il faudra relever un peu vos cheveux, et une jolie fille trouve toujours quelque faveur auprès des juges et des jurés qui condamneraient à la déportation un vieux coquin comme moi, pour avoir volé la quinzième partie de la peau d’une puce : Dieu les damne !
Les deux sœurs ne firent aucune réponse à cette grossière consolation ; elles étaient tellement absorbées dans leur douleur, qu’elles oublièrent même la présence de Ratcliffe.
– Ô Effie ! dit Jeanie, pourquoi m’avez-vous caché votre situation ? Avais-je mérité cela de votre part ? – Si vous aviez seulement dit un mot, – nous nous serions affligées ensemble, nous n’aurions pas évité la honte, mais cette cruelle extrémité nous eût été épargnée.
– Eh ! quel bien en pouvait-il résulter ? répondit la prisonnière. Non, non, Jeanie, tout fut fini quand une fois j’eus oublié ce que j’avais promis en faisant un pli au feuillet de ma Bible. Voyez, dit-elle en lui montrant le livre saint, elle s’ouvre d’elle-même à cet endroit. Oh ! voyez, Jeanie, quelle effrayante menace !
Jeanie prit la Bible de sa sœur, et trouva que la marque fatale était faite sur ce texte frappant du livre de Job :
– « Il m’a dépouillé de ma gloire, et m’a ôté la couronne qui ornait ma tête : il m’a détruit de toutes parts, et je suis perdu. Et mon espérance a été arrachée comme un arbre. »
– Tout n’a-t-il pas été vérifié ? dit la prisonnière ; ne m’a-t-on pas enlevé ma couronne, mon honneur ? Et que suis-je, si ce n’est un arbre déraciné et jeté sur la grande route, afin que l’homme et les animaux me foulent aux pieds ? Vous rappelez-vous l’aubépine que mon père arracha au dernier mois de mai, au moment où elle était en fleurs ? Elle fut abandonnée dans la cour, où le troupeau l’eut bientôt mise en pièces. Je pensais peu, quand je regrettais sa verdure et ses blanches fleurs, que le même sort m’attendait !
– Oh ! si vous aviez dit un seul mot ! répéta Jeanie en sanglotant, si je pouvais jurer que vous m’aviez dit un seul mot de votre état, votre vie ne courrait aucun danger.
– Ne courrait aucun danger ! répéta Effie avec émotion, tant l’amour de la vie est naturel même à ceux qui la regardent comme un fardeau : qui vous a dit cela, Jeanie ?
– Quelqu’un qui savait probablement bien ce qu’il me disait, répondit Jeanie, ne pouvant se résoudre à prononcer le nom du séducteur de sa sœur.
– Dites-moi son nom, s’écria Effie ; je vous en conjure, dites-le-moi. Qui pouvait prendre intérêt à une malheureuse comme moi ? Était-ce… était-ce lui ?
– Eh ! allons donc, dit Ratcliffe, pourquoi laisser cette pauvre fille dans le doute ? Je réponds bien que c’est Robertson qui vous a appris cela quand vous l’avez vu à la butte de Muschat.
– Était-ce lui, Jeanie ? s’écria Effie, était-ce bien lui ?… Oh ! je vois que c’était lui ! Pauvre Georges ! quand je l’accusais de m’avoir oubliée ! Dans un moment où il courait tant de dangers ! Pauvre Georges !
– Comment pouvez-vous parler ainsi d’un tel homme, ma
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