La Prison d'Édimbourg
effort. J’y ai réfléchi : vous avez toujours valu deux fois mieux que moi ; et pourquoi commenceriez-vous à être moins bonne pour me sauver, moi qui ne mérite pas de l’être ? Dieu sait que, lorsque j’ai ma présence d’esprit, je ne voudrais pas que qui que ce soit me sauvât la vie aux dépens de sa conscience. J’aurais pu fuir de cette prison dans cette terrible nuit où la porte fut forcée, j’aurais fui avec quelqu’un qui m’eut emmenée avec lui, qui m’eût aimée et protégée ; mais je dis : À quoi bon conserver la vie, puisque mon honneur est perdu ? Hélas ! il a fallu ce long emprisonnement pour abattre mon âme, et il y a des momens où, livrée tristement à moi seule, j’achèterais volontiers le seul don de la vie au prix de toutes les mines d’or et de diamans des Indes ; car je crois, Jeanie, que je suis en proie au même délire qui m’agitait quand j’avais la fièvre, – excepté qu’au lieu des loups et du taureau furieux de la veuve Butler que je me figurais voir s’élancer sur moi dans mon lit, je ne rêve plus que d’un gibet bien élevé, où je me vois debout, entourée de figures étranges qui regardent la pauvre Effie Deans, et se demandent si c’est bien elle que Georges Robertson appelait le Lis de Saint-Léonard ; – et puis ces figures-là fixent sur moi des regards moqueurs, et je vois une femme au sourire méchant comme la Meg Murdockson quand elle me dit que je ne verrais plus mon pauvre enfant. Dieu nous protège, Jeanie ! cette vieille a un visage affreux.
Elle se mit les mains devant les yeux après cette exclamation, comme si elle eût craint de voir apparaître l’objet hideux auquel elle faisait allusion.
Jeanie Deans resta encore deux heures avec sa sœur. Pendant ce temps, elle chercha à en tirer quelque aveu qui pût servir à sa justification ; mais elle ne lui dit que ce qu’elle avait déclaré lors de son premier interrogatoire, que nos lecteurs connaîtront en temps et lieu. – Ils n’ont pas voulu me croire, ajouta-t-elle, je n’ai rien de plus à leur dire.
Enfin Ratcliffe, quoique à regret, fut obligé d’annoncer aux deux sœurs qu’il était temps de se séparer : – M. Novit, dit-il, devait visiter la prisonnière, et peut-être M. Langlate aussi. Langlate aime à voir une jolie fille, en prison, ou hors de prison.
Ce ne fut donc qu’à contre-cœur et lentement, après avoir versé bien des larmes, et après s’être embrassées bien des fois, qu’elles se firent leurs adieux. Jeanie en sortant entendit de gros verrous se fermer sur sa malheureuse sœur. S’étant un peu familiarisée avec son conducteur, elle lui offrit une pièce d’argent, en le priant de faire ce qui dépendrait de lui pour qu’il ne manquât rien à Effie. À sa grande surprise, il refusa ce présent.
– Je n’ai jamais répandu de sang quand je travaillais sur le grand chemin, lui dit-il ; maintenant que je travaille dans une prison, je ne prends pas d’argent, c’est-à-dire au-delà de ce qui est juste et raisonnable. Gardez le vôtre, et votre sœur ne manquera de rien de ce qui sera en mon pouvoir. Mais j’espère que vous réfléchirez encore à son affaire. Qu’est-ce qu’un serment ? le diable m’emporte si cela vaut un cheveu. J’ai connu un digne ministre, un homme qui parlait aussi bien que pas un de ceux que vous avez pu entendre en chaire, qui en a fait un pour un boucaut de tabac, de quoi remplir sa poche. Mais peut-être vous ne dites pas ce que vous avez envie de faire… Bien, bien ! il n’y a pas de mal à cela. Quant à votre sœur, j’aurai soin qu’on lui serve son dîner bien chaud, et je tâcherai de l’engager à faire un somme après dîner, car du diable si elle ferme l’œil cette nuit. J’ai de l’expérience. La première nuit est la pire de toutes. Je n’ai jamais connu personne qui ait dormi la nuit d’avant son jugement. Mais celle d’après, même celle qui précède l’exécution, on peut dormir d’un bon somme. C’est tout simple : le plus grand des maux, c’est l’incertitude. Mieux vaut un doigt coupé qu’un doigt pendant.
CHAPITRE XXI.
« S’il faut qu’à l’échafaud une loi trop cruelle,
» En flétrissant ton nom te traîne en criminelle,
» Ma fidèle amitié, mes soins toujours constans
» Adouciront l’horreur de tes derniers instans. »
JEMMY DAWSON
Après avoir consacré à la prière une grande partie de la matinée, car ses
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