La Prison d'Édimbourg
Votre Révérence, elle a l’air assez tranquille, bien paisible, et puis elle dit qu’elle a assez d’argent pour sortir du comté !
– L’argent ! ah ! c’est toujours à quoi vous songez d’abord, Stubbs, mais il s’agit de savoir si elle a du bon sens, de l’intelligence ? est-elle capable de prendre soin d’elle-même ?
– Je ne saurais trop dire à Votre Révérence, répliqua Stubbs, je crois bien qu’elle n’est pas née à Witt-Ham {100} , car Gaffer Gibbs, qui l’a regardée tout le temps du service, dit qu’elle ne pouvait prononcer une seule phrase comme un chrétien, quoique Madge Murdockson lui soufflât les mots ; mais quant à savoir prendre soin d’elle-même, elle est Écossaise, et, Votre Révérence, on dit que les plus bornés de ce pays savent se tirer d’affaire ; d’ailleurs elle est mise décemment, elle n’est pas couverte de fanfreluches comme l’autre.
– Allons, faites-la entrer, et restez en bas, M. Stubbs.
À l’instant où cette conversation finissait, on ouvrit la porte vitrée qui conduisait de la salle où se trouvait Jeanie dans le jardin. Un jeune homme pâle et paraissant malade, soutenu ou plutôt porté par deux domestiques, entra, et s’étendit sur un sopha qui était placé près de la porte de la bibliothèque. Dans le même moment Stubbs en sortait pour dire à Jeanie d’y entrer. Elle lui obéit en tremblant, car indépendamment de la situation nouvelle où elle se trouvait, il lui semblait que le succès de son voyage dépendait de l’entretien qu’elle allait avoir avec M. Staunton.
Il est vrai qu’il était difficile de concevoir sous quel prétexte on pourrait empêcher une personne qui voyageait à ses frais, qui ne demandait rien à personne, de continuer sa route. Mais sa dernière aventure ne lui avait que trop appris qu’il existait, à peu de distance, des gens qui désiraient mettre obstacle à son voyage, et qui avaient assez d’audace pour essayer une seconde fois d’y réussir. Elle sentait donc la nécessité d’avoir sur la route une protection qui pût la mettre à l’abri de leur scélératesse. Pendant que ces idées se présentaient à son esprit avec plus de rapidité que la plume ne peut les transmettre, et que l’œil du lecteur ne peut les suivre, elle était déjà dans la bibliothèque du recteur de Willingham, dont les rayons offraient à ses yeux plus de livres qu’elle croyait qu’il n’en existait dans tout l’univers ; car elle regardait comme une grande collection ceux qui se trouvaient sur deux tablettes dans la chambre de son père, et que Deans disait être la fleur de toute la théologie. Des globes, des sphères, des télescopes et d’autres instrumens de physique inconnus à Jeanie, lui inspirèrent une admiration mêlée de crainte, car ils lui paraissaient devoir servir à des opérations magiques plutôt qu’à toute autre chose ; enfin, quelques animaux empaillés ajoutaient encore à l’impression que faisait sur elle la vue de cet appartement.
– Jeune femme, lui dit M. Staunton avec douceur, vous vous êtes présentée ce matin dans l’église d’une manière bien étrange, propre à troubler le service divin, et dans une compagnie qui, je dois le dire, ne prévient pas en votre faveur ; j’ai voulu vous interroger, afin de voir quelles mesures mon devoir exige que je prenne à votre égard ; je dois vous dire que je suis juge de paix, en même temps que recteur de cette paroisse : mais ne vous troublez pas, je n’ai pas dessein de vous troubler.
– Votre Honneur abien de la bonté, répondit Jeanie d’un air timide ; car ses principes de presbytérianisme ne lui permettaient pas de lui donner le titre de Révérence.
– Eh bien, qui êtes-vous ? que faites-vous dans ce comté ? ignorez-vous qu’on n’y souffre pas de vagabondage ?
Ce terme injurieux rendit à Jeanie toute son énergie.
– Je ne suis point une vagabonde, monsieur, répliqua-t-elle d’un ton ferme : je suis une honnête fille écossaise, voyageant pour mes affaires et à mes frais ; j’ai été assez malheureuse pour rencontrer hier soir mauvaise compagnie ; on m’a retenue toute la nuit, et cette pauvre créature, dont la tête est un peu légère, m’a fait sortir ce matin.
– Mauvaise compagnie ! oui sans doute, et je crains, jeune femme, que vous n’ayez pas pris assez de soin pour l’éviter.
– On m’a toujours appris à la fuir, monsieur ; mais les
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