La Prison d'Édimbourg
combien de fois vous ai-je dit d’appeler M. Staunton Sa Révérence ? Maître ! on dirait que vous parlez d’un petit gentilhomme de campagne.
Thomas ne répondit rien ; mais en se retirant il murmura entre ses dents : – Il y a plus d’un maître dans cette maison ; et, à laisser faire mistress Dalton, nous y aurions bientôt unemaîtresse aussi.
Il conduisit Jeanie par des corridors où elle n’avait point passé jusqu’alors, et la fit entrer dans une chambre où les volets fermés empêchaient le grand jour de pénétrer.
– Voici la jeune fille, monsieur, dit Thomas.
Une voix sortant d’un lit à rideaux, et qui n’était pas celle du recteur, répondit : – C’est bien ; retirez-vous, et soyez prêt à venir quand je sonnerai.
– Il y a ici quelque méprise, dit Jeanie étonnée de se trouver dans la chambre d’un malade ; le domestique m’a dit que le ministre…
– Ne vous inquiétez pas, dit le malade, il n’y a pas de méprise. Je connais vos affaires mieux que mon père, et je suis plus en état de vous servir. Ne perdons pas le temps, il est précieux. Ouvrez un de ces volets.
Jeanie lui obéit. Le malade tira un des rideaux de son lit, et Jeanie vit un jeune homme extrêmement pâle, la tête enveloppée de bandages, couvert d’une robe de chambre, et étendu sur un lit dans un état de grande faiblesse.
– Regardez-moi, Jeanie Deans, lui dit-il, me reconnaissez-vous ?
– Moi, monsieur ! lui dit-elle d’un ton de surprise ; non vraiment, je ne suis jamais venue dans ce pays.
– Mais je puis avoir été dans le vôtre. Regardez-moi bien ; je ne voudrais pas prononcer un nom que vous devez détester. Voyez, souvenez-vous !
Un souvenir terrible se présenta en ce moment à l’esprit de Jeanie, et le son de la voix du jeune homme changea ses doutes en certitude.
– Calmez-vous ! Souvenez-vous de la butte de Muschat, et d’une nuit qu’il faisait clair de lune.
Jeanie se laissa tomber sur un fauteuil, et joignit les mains avec douleur.
– Oui, dit-il, me voici comme un serpent écrasé sous les pieds, frémissant de me trouver incapable de mouvement. Je suis ici quand je devrais être à Édimbourg, à Londres, remuant ciel et terre pour sauver une vie qui m’est plus chère que la mienne. Et comment est votre sœur ? Juste ciel ! condamnée à mort, je le sais. Pourquoi faut-il que ce malheureux cheval, qui m’a toujours conduit sans accident partout où m’appelaient des passions effrénées, m’ait presque tué pour la première fois que je faisais une course dont le but était louable ! Mais il ne faut pas que je me livre à la violence : trop d’agitation me tuerait, et j’ai bien des choses à vous dire. Donnez-moi le cordial qui est sur cette table. Pourquoi tremblez-vous ? Laissez, laissez ! je n’en ai pas besoin.
Jeanie, quoique avec répugnance, lui présenta la tasse qu’il lui avait montrée, et ne put s’empêcher de lui dire :
– Il y a aussi un cordial pour l’âme, monsieur, si le coupable veut abandonner ses erreurs, et chercher le médecin des âmes.
– Silence ! et cependant je vous remercie. Mais dites-moi sans perdre de temps ce que vous faites en ce pays. Quoique j’aie été le plus cruel ennemi de votre sœur, je verserais tout mon sang pour elle, et je désire vous servir pour l’amour d’Effie. Personne ne peut vous donner de meilleurs avis que moi, puisque personne ne connaît si bien toutes les circonstances de cette affaire. Ainsi donc, parlez-moi sans crainte.
– Je ne crains rien, monsieur, répondit Jeanie en recueillant toutes ses forces ; ma confiance est en Dieu ; et, s’il lui plaît de sauver ma sœur, je ne demande qu’à être l’humble instrument de sa clémence. Quant à vos avis, monsieur, je dois vous dire franchement que je ne les suivrai qu’autant qu’ils me paraîtront conformes à la loi sur laquelle je dois m’appuyer.
– Au diable la puritaine ! s’écria Georges Staunton ; car c’est ainsi que nous devons le nommer à présent. – Je vous demande pardon, je suis naturellement impatient, et vous me faites bouillir le sang dans les veines. Quel mal trouvez-vous à me faire part des projets que vous pouvez avoir pour servir votre sœur ? Vous pourrez toujours refuser de suivre mes conseils, si je vous en donne qui ne vous paraissent pas convenables. Vous voyez que je vous parle avec calme, quoique ce soit contre mon caractère ; mais ne me mettez
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