La Prison d'Édimbourg
gens dont je vous parle étaient des voleurs, et m’ont retenue de force.
– Des voleurs ? dit M. Staunton ; et que vous ont-ils pris ?
– Pas la moindre chose, monsieur ; ils ne m’ont fait d’autre mal que de me forcer à rester avec eux contre mon gré.
Le recteur lui demanda alors un détail circonstancié de cette aventure, et elle la lui conta avec la plus grande exactitude.
– Voilà une histoire bien extraordinaire, bien peu vraisemblable, jeune femme, dit-il alors : d’après votre récit, on a commis contre vous un acte de violence sans aucun motif apparent ; au surplus, connaissez-vous les lois de ce pays ? savez-vous que si vous formez une plainte à ce sujet, vous serez obligée de faire des poursuites ?
Jeanie ne le comprenait point, et il fut obligé de lui expliquer qu’indépendamment de la perte soufferte par la personne qui a été volée ou injuriée de quelque manière que ce soit, les lois anglaises ont la bonté de la charger en outre de tout l’embarras et de tous les frais de la poursuite.
Elle lui répondit que l’affaire qui l’appelait à Londres ne lui permettait aucun délai, et que tout ce qu’elle pouvait désirer était que quelque âme compatissante voulût bien, par esprit de charité chrétienne, la faire conduire sans danger jusqu’à la première ville où elle pourrait louer des chevaux et un guide ; que, quant à la poursuite des brigands qui l’avaient arrêtée, elle y pensait d’autant moins, qu’elle savait que son père ne trouverait pas bon qu’elle parût devant une cour de justice anglaise pour y prêter serment, le pays n’étant pas favorisé de la vraie croyance évangélique.
– Votre père est-il donc quaker ? demanda M. Staunton.
– Non, Dieu merci, monsieur : il n’est ni hérétique ni schismatique ; et bien connu pour n’être pas tel.
– Et quel est son nom ?
– David Deans, monsieur, nourrisseur de bétail à Saint-Léonard Craigs près d’Édimbourg.
Un cri douloureux, qu’on entendit dans la pièce voisine, empêcha le recteur de lui répondre. – Bon Dieu ! malheureux enfant ! s’écria-t-il ; et, laissant Jeanie dans la bibliothèque, il en sortit précipitamment.
CHAPITRE XXXIII.
« Terribles passions qui déchirez mon cœur,
» Qui répandez sur moi la honte et la terreur !
» Que de crimes, hélas ! il faut cacher encore !
» Craignant ce que je sais comme ce que j’ignore,
» Les maux que j’ai soufferts, ceux que j’ai fait souffrir,
» M’entraînent tour à tour du crime au repentir. »
COLERIDGE.
Jeanie, restée seule dans la bibliothèque, employa le temps à réfléchir sur sa situation. Elle mourait d’impatience de se remettre en route ; mais elle était encore à portée de la vieille Meg et de ses affidés, de la violence desquels elle avait tout à craindre. En rapprochant la conversation qu’elle avait entendue la nuit précédente dans la grange des propos étranges et sans suite que Madge lui avait tenus dans la matinée, elle comprenait que la mère de celle-ci avait quelques motifs de vengeance pour mettre obstacle à son voyage si elle le pouvait. Or, de qui Jeanie pouvait-elle espérer secours et protection, si ce n’était de M. Staunton ? Tout en lui, son visage et ses manières, semblait encourager cette espérance. Ses traits étaient beaux et prévenans, quoique exprimant une profonde mélancolie ; son ton et son langage avaient quelque chose de doux et de consolant ; comme il avait servi dans l’armée pendant une partie de sa jeunesse, il était resté dans son air cette franchise aisée, particulière à la profession des armes. C’était d’ailleurs un ministre de l’Évangile ; et quoique, selon les opinions religieuses de Jeanie, ce fût dans la cour des gentils qu’il exerçait son ministère, quoiqu’il fût assez égaré pour porter un surplis, quoiqu’il lût le Livre Commun des prières {101} et écrivît jusqu’au dernier mot de son sermon avant de le débiter, quoique, du côté de la force des poumons et de la quintessence de la doctrine, il fût bien inférieur à Boanerges Stormheaven, Jeanie ne put s’empêcher de croire qu’il devait être bien différent du desservant Kilstoup, et autres théologiens prélatistes du temps de la jeunesse de son père, qui avaient coutume de s’enivrer dans leur costume canonique, et lançaient les dragons après les Cameroniens fugitifs. Quelque chose semblait avoir
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