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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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la seule question qui m’était venue à l’esprit.
    — Vincent n’est pas au courant. Il a décrété que les techniques de Gelbman n’entraînaient pas de découvertes sensationnelles, et m’a enjoint de recentrer mes recherches sur sa théorie et de m’intéresser davantage aux sources vénitiennes.
    — Tu ne lui parleras pas des cornes de Moïse ?
    — C’est à toi que j’en parle, murmura-t-il.
    — Je n’ai aucune idée là-dessus, Paul.
    — Tom, ce n’est pas un hasard. Pas quelque chose d’aussi gros. C’est le signe que ton père cherchait. J’ai besoin de ton aide.
    — Pourquoi ?
    Curieusement, sa voix gagnait en assurance, comme s’il prenait subitement conscience de quelque chose qu’il avait, jusque-là, laissé échapper.
    — L’ Hypnerotomachia mérite qu’on multiplie les tactiques d’approche. Il faut, bien sûr, de la patience et de la rigueur. Mais aussi de l’instinct et de l’inventivité. J’ai lu certaines de tes conclusions sur Frankenstein. Elles sont intéressantes. Originales. Et tu n’as même pas eu besoin de te creuser les méninges, Penses-y. Pense à cette énigme. Tu auras peut-être une idée, une piste différente à suggérer. C’est tout ce que je te demande.
     
    Pour une raison toute personnelle, je rejetai d’abord sa requête. Dans le paysage de mon enfance, le livre de Colonna trônait comme un château abandonné sur une colline, une ombre menaçante sur toute pensée qui s’y aventurait. Même les tristes mystères de ma jeunesse semblaient avoir pris leur source dans ces pages illisibles : les innombrables absences de mon père, qui préférait passer des nuits entières à son bureau plutôt que de s’attabler avec nous ; les vieilles disputes auxquelles mes parents s’adonnaient, comme des saints se livrant au péché ; et même l’agressivité de Richard Curry, qui, plus que quiconque, s’était laissé envoûter par le livre de Colonna. Le pouvoir qu’exerçaitl’ Hypnerotomachia sur ses lecteurs me paraissait incompréhensible. Mais je savais que cette fascination n’engendrait que le pire. J’avais été témoin, pendant trois ans, du combat de Paul. Cela m’incitait à garder mes distances, même si mon ami devait déboucher sur une découverte de premier ordre.
    Pourtant, je me ravisai le lendemain et acceptai de prêter main-forte à Paul. Tout cela à cause d’un rêve que je fis cette nuit-là. Chaque fois que je me glissais dans le bureau de mon père, une gravure m’époustouflait. Ce n’est pas tous les jours qu’un jeune garçon a le loisir de contempler une femme nue qui, allongée sous un arbre, semble lui renvoyer son regard. Et, en dehors du cercle restreint des spécialistes de la Renaissance, personne n’aurait imaginé au pied d’une telle créature un satyre nu, le pénis en forme de corne tendu dans sa direction, comme l’aiguille d’un compas. J’avais douze ans quand je tombai pour la première fois sur cette illustration. J’étais seul dans le bureau de mon père. Soudain, je compris pourquoi il tardait parfois à nous rejoindre à table. Face à cette merveille, le bœuf en daube ne faisait pas le poids.
    Cette nuit-là, cette image hanta mon sommeil : la gravure de mon enfance, une femme alanguie, un satyre aux jambes de bouc qui, le membre érigé, la guette. Sans doute me retournai-je plusieurs fois dans mon lit, car Paul me demanda, du haut du sien, si tout allait bien.
    À mon réveil, je compulsai les livres posés sur son bureau. Ce pénis, cette corne étrange, me rappelait quelque chose. Il y avait un lien. Colonna savait fort bien de quoi il parlait. Quelqu’un avait vraiment fait porter des cornes à Moïse.
    La réponse se trouvait dans L’Histoire de l’art de la   Renaissance de Hartt. Je connaissais cette photographie, mais je ne m’y étais jamais attardé.
     

     
    — Qu’est-ce que c’est ? demandai-je à Paul en brandissant le volume au-dessus de ma tête pour qu’il puisse l’apercevoir de son lit.
    Il loucha.
    — La statue de Moïse, par Michel-Ange, répondit-il en me dévisageant comme si j’avais perdu la raison. Mais ça ne va pas, Tom ?
    Puis, avant que je puisse répondre, il se redressa et alluma sa lampe de chevet.
    — Bien sûr…, murmura-t-il. Mais bien sûr !
    Deux petites protubérances émergeaient de la tête de la statue, pareilles aux cornes du satyre.
    Paul bondit hors de son lit avec tant de fracas qu’il manqua de

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