La règle de quatre
le livre lui-même. Il s’agit alors de déchiffrer le code, une équation ou une série d’instructions, puis de s’en servir pour décrypter le reste.
Je souris.
— C’est le genre d’idée qui pourrait mettre en faillite le département de lettres.
— Moi aussi, j’étais sceptique, reprit Paul. Mais cette tradition est très ancienne. À l’époque des Lumières, de nombreux intellectuels, par jeu, rédigeaient des textes sur ce modèle, des fables, des romans épistolaires. Les astuces étaient récurrentes : par exemple, en traquant les coquilles volontaires ou en résolvant un rébus dans les illustrations, on avait une chance de trouver la clef. On obtenait alors ceci : « N’utilisez que les nombres premiers, des carrés parfaits et les lettres d’un mot sur dix ; les paroles de lord Kinkaid et toutes les questions de la servante sont à exclure. » Il suffisait de suivre les instructions pour découvrir le message. La plupart du temps, il s’agissait d’un poème humoristique ou d’une plaisanterie salace. Mais parfois, c’était plus sérieux. Un auteur a même écrit son testament de cette façon, en précisant que celui qui parviendrait à le déchiffrer hériterait de sa fortune.
Paul sortit une feuille de papier glissée entre les pages d’un volume, sur laquelle quelques lignes codées étaient juxtaposées au message en clair, bien plus court. Comment Paul était-il passé de l’un à l’autre ? Cela relevait pour moi du mystère.
— Au bout d’un certain temps, j’ai commencé à espérer que cela fonctionnerait. L’acrostiche obtenu à partir de la première lettre de chaque chapitre de l’Hypnerotomachia n’était pas qu’un indice. Il fixait également le cadre herméneutique du reste du livre. Beaucoup d’humanistes se sont intéressés à la kabbale, et l’idée de jouer avec le langage et les symboles, chiffrés ou autres, était populaire à la Renaissance. Francesco avait-il dissimulé un message secret dansl’ Hypnerotomachia ?
« Restait un problème : où chercher cet algorithme de base ? J’ai mis au point mes propres codes, juste pour vérifier que ça marchait. Je luttais pas à pas, jour après jour. J’apercevais une lueur, passais une semaine dans la salle des livres rares, à la recherche d’une solution possible, pour me rendre compte au final que ça n’avait pas de sens, ou que c’était un piège, une impasse.
« Puis, à la fin du mois d’août, j’ai planché trois semaines durant sur un morceau de texte. Poliphile contemple les ruines d’un temple et découvre des hiéroglyphes gravés sur un obélisque. En dessous, le texte latin qui leur correspond commence par ces mots : “Au divin et toujours auguste Jules César, gouverneur du monde.”. Je ne l’oublierai jamais. J’ai failli devenir fou. Tous les jours, je relisais les mêmes pages. Et c’est à ce moment-là que j’ai trouvé.
Il ouvrit un classeur posé sur son bureau, qui contenait une reproduction page par page del’ Hypnerotomachia. Paul y avait ajouté une annexe à la fin, notamment une feuille sur laquelle il avait fixé avec des trombones la première lettre de chaque chapitre, formant une phrase qui évoquait une demande de rançon : Poliam Frater Franciscus Columna Peramavit.
— Mon hypothèse de départ était simple. L’acrostiche n’était pas un jeu visant à identifier l’auteur. Il jouait forcément un rôle crucial dans le décodage du message initial, mais en outre dans le décryptage de l’ensemble du livre.
« J’ai donc essayé. Le passage qui m’obsédait s’ouvrait par un hiéroglyphe particulier, figurant dans une des illustrations : un œil.
Il feuilleta plusieurs pages avant de le trouver.
— Puisque c’était le premier symbole de la gravure, j’ai pensé qu’il avait son importance. Malheureusement, la définition fournie par Poliphile, selon qui l’œil est synonyme de Dieu ou de la divinité, ne me conduisait nulle part.
« C’est alors que j’ai eu un coup de chance. Je travaillais, un matin, dans la bibliothèque et, n’ayant pas beaucoup dormi la veille, j’ai eu envie de boire un soda. Mais le distributeur de boissons a recraché plusieurs fois mon billet d’un dollar. J’étais tellement fatigué que je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’à ce que je me rende compte que je l’introduisais à l’envers. En le retournant, je l’ai vu. Sous mon nez, au dos du
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