La règle de quatre
billet.
— L’œil, dis-je. Au-dessus de la pyramide.
— Eh oui. C’est à ce moment-là que je m’en suis souvenu. Un des grands humanistes de la Renaissance avait fait de cet œil son symbole personnel. Il le gravait même sur des pièces de monnaie et des médailles.
Paul se tut un instant, comme s’il s’attendait que je donne la réponse.
— Alberti, dit-il enfin en désignant, sur l’une des étagères de la bibliothèque, un petit livre au litre imprimé sur la tranche : De Re Œdificatoria. C’est précisément cela que Colonna voulait dire. Il voulait aiguiller le lecteur vers Alberti, dont il reprenait quelques concepts.
« Dans son traité, Alberti invente des équivalents latins pour des termes architecturaux dérivés du grec. Francesco use du même procédé tout au long de l’ Hypnerotomachia, sauf à un endroit. Je l’avais remarqué en traduisant le passage, truffé de termes empruntés à Vitruve, mais je ne pensais pas que c’était significatif.
« J’ai appliqué le principe d’Alberti et identifié toute la terminologie architecturale grecque pour la remplacer par son équivalent latin. Grâce aux initiales des mots ainsi apparus, j’ai reconstruit un nouvel acrostiche, en latin. L’obstacle consistait à ne pas se tromper de terme : à la moindre erreur de traduction, tout s’écroule. Qu’on remplace entasi par ventris diametrum au lieu de venter, et le “d” de diametrum sème le désordre.
Paul tourna la page, se mit à parler plus vite :
— Bien sûr, j’ai eu quelques ratés, pas assez graves, heureusement, pour m’empêcher de déduire la phrase en latin. Ça m’a pris trois semaines. Ce n’est que la veille de votre retour sur le campus que j’ai trouvé la solution. Et tu sais ce que dit le message ?
Il se gratta nerveusement la joue.
— Ça dit : « Qui a cocufié Moïse ? »
Il éclata d’un rire nerveux, avant de poursuivre :
— Je te jure que je l’entends se payer ma tête, ce diable de Francesco ! Comme si tout le livre se réduisait à une mauvaise blague montée à mes dépens. Enfin, bon sang : « Qui a cocufié Moïse ? »…
— Je ne comprends pas, lâchai-je, consterné.
— En d’autres termes : qui a trompé Moïse ?
— Merci, un cocu, je sais ce que c’est.
— En réalité, Francesco n’emploie pas exactement le terme de cocu. Il dit plutôt ; « Qui fit porter des cornes à Moïse ? »
On emploie les cornes depuis Artémidore pour désigner l’époux trompé. Ça vient de…
— Mais quel rapport avecl’ Hypnerotomachia ? explosé-je.
Plutôt que d’éclairer ma lanterne, Paul se leva et arpenta la pièce. Je compris que l’affaire n’était pas simple.
— Je n’en sais rien. Je n’arrive pas à trouver le lien avec le reste du livre. Le plus curieux, c’est que je pense avoir fait mouche.
— Quelqu’un a cocufié Moïse ?
— D’une certaine façon, oui. Au début, j’ai cru que j’avais fait une erreur. Moïse est un personnage trop central de l’Ancien Testament pour que son nom soit associé à un adultère. Je savais qu’il avait eu une épouse, Séphora la Madianite, mais on la mentionne à peine dans l’Exode et je n’ai trouvé aucune allusion à une infidélité de sa part.
« Puis, dans le livre des Nombres, au chapitre XI, Myriam et Aaron, sœur et frère de Moïse, médisent dans son dos parce qu’il a épousé une femme cushite. On n’en sait pas plus, mais comme Madian et Cush sont des régions très éloignées l’une de l’autre, certains spécialistes pensent que Moïse a eu deux femmes. Le nom de l’épouse cushite n’apparaît nulle part dans la Bible, mais Flavius Josèphe affirme que cette Cushite, ou, si tu préfères, cette Ethiopienne, se nommait Tharbis.
Ce déluge d’informations me donnait le tournis.
— Tu veux dire que c’est elle qui l’a trompé ?
Paul secoua la tête.
— Non. Dans certaines traditions, les cornes du cocu apparaissent sur la tête de l’infidèle, pas uniquement sur celle du conjoint bafoué. La réponse est donc Séphora ou Tharbis.
— Et qu’as-tu fait de ce résultat ?
Son excitation retomba aussitôt.
— J’ai tourné la chose dans tous les sens, en me servant des noms de Séphora et de Tharbis pour décrypter le reste du bouquin. En vain. Rien ne marche.
Il s’interrompit, comme si j’avais une idée à suggérer.
— Et que pense Taft de cette hypothèse ?
C’était
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