La Reine Sanglante
profonde, tandis que le roi continuait :
« Jugez-en, ma chère Marguerite : au dernier étage de la tour, aménagé comme pour des orgies secrètes, j’ai trouvé dans une table des papiers qui avaient été écrits par celle qui se livre à ces débauches… celle qui me trahit !
« Ces papiers, continua le roi, je les tenais dans mes mains. (Marguerite, d’un violent effort, parvint à ne pas s’évanouir.) J’allais les lire ! Tout à coup, cet homme, ce Philippe d’Aulnay, s’est précipité sur moi par traîtrise, m’a arraché les papiers, et tandis que j’étais maintenu en respect par une douzaine de ses compagnons, il les a brûlés ! »
Un soupir gonfla le sein de la reine, qui murmura :
« Sauvée… »
Et telle était la puissance de cette femme sur elle-même, que pas un pli de sa physionomie ne décelait l’épouvantable émotion qu’elle éprouvait en ce moment.
Mais déjà le roi continuait :
« Il me reste, chère Marguerite, à vous demander pardon d’un véritable crime que j’ai commis contre vous.
– Contre moi ?
– Oui, hélas ! vous, l’ange de la pureté ! vous, que le peuple appelle Marguerite la vertueuse, comme il m’a appelé Louis le Hutin, j’ai osé un instant vous soupçonner…
– Me soupçonner ! fit Marguerite d’une voix si basse et rauque. Et de quoi, grand Dieu !… »
Dans cette tragique seconde, Marguerite fut admirable d’audace, de décision et de sang-froid. Elle se leva précipitamment, s’assit, ou plutôt se jeta sur les genoux de Louis, étreignit sa tête dans ses deux bras, colla ses lèvres à ses lèvres, et, avec un accent de passion vraiment sublime :
« Parle, mon roi, mon Louis bien-aimé ! Parle ! décharge ton pauvre cœur des peines qui l’accablent ! Confie-moi le secret de ton tourment ; dusses-tu, tiens, dusses-tu m’accuser moi-même, dussé-je entendre que tu m’as soupçonnée ! et dussé-je mourir à l’instant de savoir que Louis a soupçonné sa Marguerite !
– Pardonne, chère Marguerite ! Pardonne ! murmura le roi, ivre de passion. Oui, il faut que tu saches tout, et ce sera mon châtiment ! Eh bien, je me figurais un instant, dans une minute de folie furieuse, je me suis figuré que toi-même tu t’étais rendue à la Tour de Nesle et que, là, un peintre t’avait portraiturée dans l’attitude où j’ai vu la femme au tableau ! »
Marguerite frissonna jusqu’à l’âme.
Car ces paroles du roi étaient le reflet de la vérité.
« Et ce n’est pas tout ! continua le roi. Dans ma folie, j’avais peut-être une sorte d’excuse… car figure-toi qu’ayant ouvert une armoire, j’y ai trouvé des robes imprégnées de ton parfum favori… »
Marguerite se sentit mourir.
« J’y ai trouvé, continua le roi, un manteau agrafé par deux émeraudes… Oh ! deux émeraudes toutes pareilles à celles que je t’ai données !… »
Marguerite eut le soupir atroce du condamné à qui on vient annoncer que l’heure de mourir est arrivée. Livide, la tête baissée, elle semblait attendre le coup fatal.
« Il fallait vraiment, poursuivit le roi avec un rire strident que le démon m’eût soufflé je ne sais quelle funeste inspiration. Car quoi de plus simple que de te dire : « Marguerite, ces émeraudes que je t’ai données, montre-les-moi, ne fût-ce que par pitié ! » Alors, n’est-ce pas, tu m’eusses montré tes émeraudes et mon soupçon fût tombé du coup ! »
Le roi s’arrêta.
Il attendait… quoi ?… Il attendait que la reine allât chercher les émeraudes et les lui montrât.
La reine ne bougeait pas.
« Par Notre-Dame ! murmura le roi, qu’attends-tu, Marguerite ? Quoi ! après ce que je viens de dire, ces émeraudes ne sont pas encore là, sous mes yeux ? »
Le roi s’était levé, et il apparut à Marguerite si pâle, si terrible dans son immobilité, qu’une sorte de folie monta à son cerveau. Elle se leva à son tour, prête à hurler : « C’est vrai ! C’est vrai ! La femme au tableau… c’est moi ! Les émeraudes, ce sont les miennes ! C’est moi, moi, Marguerite de Bourgogne, qui suis la ribaude de la Tour de Nesle. »
« Madame ! fit une voix calme, je vous apporte votre manteau dont les agrafes ont besoin d’être réparées. »
La reine demeura immobile, pétrifiée.
Le roi jeta un rugissement et se rua sur Mabel qui venait d’entrer, tenant dans ses bras le manteau royal.
« Oh !
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