La Reine Sanglante
Bertrand de Goth {1} . Nous l’accuserons, avec preuves, d’avoir reçu de l’argent des Flamands pour trahir la cause du roi de France… Et enfin. Sire, nous l’accuserons d’un crime plus horrible qu’aucun des crimes qui aient jamais été conçus. »
Le roi frissonna.
Il s’imprégnait de ce fiel que lui versait le sinistre rival d’Enguerrand de Marigny. Et ce fut avec un frisson d’épouvante qu’il entendit la dernière accusation.
« Vous savez, Sire, que vous avez été menacé par les maléfices d’une sorcière, d’une fille d’enfer qui, le doute n’est plus permis, a fait pacte avec Satan. »
Le roi esquissa un signe de croix et murmura rapidement une forme d’exorcisme destinée à écarter de lui les démons ou spectres invisibles.
« Vous savez, continua Valois, que moi-même, Sire, j’ai saisi le maléfice qui, par une suprême insulte, avait été placé dans un bénitier. Oui, c’est là, dans la chambre même de la sorcière, c’est là, dans ce bénitier profané, que, de mes propres mains, j’ai saisi la statuette de cire faite à votre image et percée au cœur d’une épingle, afin que votre cœur, à vous, éclatât et se brisât dans votre poitrine. Ce sortilège, vous l’avez vu, je vous l’ai apporté…
– Je me souviens, murmura le roi livide, je me souviens de cette affreuse soirée…
– Eh bien, Sire, souvenez-vous donc aussi, pendant que vous y êtes, souvenez-vous de l’attitude de Marigny ! N’avez-vous pas remarqué son trouble, sa pâleur ? N’avez-vous pas remarqué qu’il a insisté pour aller lui-même arrêter la sorcière ? Et pendant qu’à la Courtille-aux-Roses je sauvais mon roi, n’est-il pas vrai que Marigny s’est jeté à vos pieds, lui, l’orgueil en personne ! Que voulait-il dire ? Quelle supplication était dans son cœur et n’a osé monter jusqu’à ses lèvres ? Vous êtes-vous demandé tout cela, Sire ? Vous êtes-vous demandé le secret de ce trouble ?…
– Je n’y ai pas songé ! dit naïvement le roi. Mais maintenant, par Notre-Dame ! l’horrible vérité éclate à mes yeux : la conscience de Marigny était bourrelée de remords !
– Non, Sire ! pas de remords, mais d’épouvante ! Marigny avait peur, entendez-vous bien ? et il avait peur parce que cette sorcière, cette fille démoniaque qui préparait votre mort…
– Eh bien ? haleta le roi.
– Eh bien, c’est sa fille.
– Sa fille ! fit le roi avec un accent de terreur insensée.
– Sa fille ! sa complice ! pauvre innocente, peut-être, car elle n’a agi que sous l’inspiration de son père. »
Hagard, tremblant, les cheveux mouillés de sueur, affaissé dans son fauteuil, Louis entendit à peine ces dernières paroles par lesquelles Valois amorçait déjà la justification de Myrtille.
Le roi évoquait l’image de cette sorcière qu’il avait vue dans les cachots du Temple et qu’on lui disait être la fille de Marigny.
« Par le Ciel ! grommela-t-il en lui-même, comment Marigny, qui peut avoir quarante-quatre ans, a-t-il une fille qui paraît bien tout près de quarante-cinq ans ? »
Soudain, il se frappa le front et murmura :
« J’ai compris !… »
Alors, il se passa une scène d’un comique funèbre.
Il y eut une façon de quiproquo sinistre, le roi songeant à Mabel, et Valois songeant à Myrtille, toutes les deux ensemble figurant à ce moment de l’entretien la seule et unique sorcière qui avait fabriqué le maléfice.
« Valois ! s’écria tout à coup le roi d’un air de triomphe, as-tu revu la sorcière depuis que tu l’as arrêtée à la Courtille-aux-Roses et enfermée au Temple ? Es-tu descendu dans son cachot ?
– Sire… balbutia Valois.
– Tu l’as revue, n’est-ce pas ? reprit avec impétuosité le roi. Et, dis-moi, elle est jeune ? Elle ne peut être que jeune, puisqu’elle est la fille de Marigny. Elle peut avoir de vingt à ving-cinq ans ?
– Dix-sept à peine ! murmura sourdement Valois, dont l’angoisse croissait d’instant en instant. Mais, Sire, je vais vous… »
Le roi considéra Valois d’un regard de pitié.
« Ainsi, dit-il, non seulement elle t’a paru jeune, mais encore elle t’a semblé belle ? Eh bien, écoute, Valois ! Voici qui prouve bien que nous avons affaire à une véritable sorcière : devant moi, elle a pris le visage d’une femme vieille et affreuse !… »
Valois demeura si stupéfait, qu’un instant il
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