La Reine Sanglante
ayant saisi la sainte par les deux épaules, la fit tourner sur elle-même. Ce mouvement découvrit une sorte de serrure dans laquelle elle introduisit une clef spéciale qu’elle venait de reprendre à Juana, et alors tout un pan de mur parut s’ouvrir. Sainte Geneviève et sa niche se mirent en mouvement et découvrirent un étroit passage dans lequel la reine s’engagea.
Ce passage était réellement secret, vu que la reine, Mabel et Juana étaient les seules à le connaître.
Il aboutissait à un cabinet, où il accédait par une porte invisible. Le cabinet lui-même donnait sur la chambre du roi et, par une sorte de judas habilement aménagé, on pouvait regarder et entendre.
C’est dans ce cabinet que Juana s’était rendue. C’est de là qu’elle avait surpris l’étrange entrevue de Bigorne avec le roi, et c’est dans ce cabinet que se rendait Marguerite au moment où nous reprenons ce récit.
Marguerite étant donc arrivée jusqu’au cabinet, fit jouer le ressort de la porte secrète et entra. Au même instant, elle recula, en étouffant un cri. Il y avait quelqu’un dans l’étroite pièce, ce quelqu’un était une femme, et cette femme, c’était Mabel.
La reine la reconnut sur-le-champ ; mais, par une sorte de pressentiment, elle renfonça les questions et les exclamations qui se pressaient sur ses lèvres.
Quant à Mabel, elle ne manifesta aucun étonnement : on eût dit qu’elle s’attendait à cette visite. Elle mit un doigt sur ses lèvres, comme pour recommander le silence à Marguerite, stupéfaite. Puis, saisissant la reine par une main, ce fut elle-même qui l’entraîna hors du cabinet dont elle referma la porte. Marguerite se laissait faire, dans cet état de stupeur où elle se trouvait. Rapidement, Mabel franchit le passage secret, rajusta elle-même sainte Geneviève dans sa niche et entraîna la reine jusqu’à sa chambre à coucher.
« Toi ! s’écria alors Marguerite, toi enfin ! toi dans le cabinet secret ! Comment ? Pourquoi ?
– Vous allez le savoir, ma reine ! dit Mabel ; mais, avant toute chose, il ne faut pas que votre royal époux puisse me reconnaître si, par hasard, il vient ici. Il ne m’a vue qu’un instant au fond d’un cachot…
– Au fond d’un cachot ! toi !
– Moi-même ! Et si peu qu’il m’ait vue, il m’a assez regardée pour avoir remarqué mon costume. »
La reine conduisit rapidement Mabel dans une pièce tout autour de laquelle régnaient de vastes armoires. Elle en ouvrit une, et Mabel sourit. Quelques minutes plus tard, elle était entièrement transformée et Valois lui-même n’eût pu la reconnaître. D’ailleurs, le masque qu’elle portait sur le visage la rendait encore plus impénétrable.
« Explique-moi maintenant, reprit la reine, comment et pourquoi tu sors d’un cachot où tu dis que le roi t’a vue ? Comment et pourquoi je te retrouve dans le cabinet secret ? Et surtout comment et pourquoi le philtre que tu m’as donné et que j’ai fait verser à Buridan n’était nullement un élixir d’amour ? Comment et pourquoi cet élixir que tu m’as dit ensuite être un poison foudroyant, n’a nullement empoisonné Buridan ? Je t’en préviens, ma digne Mabel, ajouta la reine avec une fureur croissante, un mensonge de plus peut te coûter la vie. Tu sais que je ne suis pas de celles qu’on peut tromper !
– Oui ! dit froidement Mabel, vous êtes de celles qui trompent. Mais, écoutez, ma reine. Si j’ai cessé de vous plaire, vous avez un moyen bien simple de vous débarrasser de moi : tout à l’heure encore, j’étais dans un cachot dont je ne devais sortir sans doute que pour être menée au bûcher. En ce moment, l’antichambre et la chambre du roi sont pleines de gardes apostés pour m’empêcher de m’enfuir du cabinet où ils m’ont mise. Reconduisez-moi dans ce cabinet. Vous savez que de l’intérieur la porte invisible n’en peut être ouverte. Et mon sort sera réglé ! Il est probable qu’au point du jour je serai brûlée vive. »
Marguerite réfléchit, sans doute, que Mabel ne se laisserait pas brûler sans parler. Peut-être, se dit-elle, ces paroles que prononcerait Mabel, avant de mourir, seraient sa condamnation à elle. Ou peut-être avait-elle réellement trop besoin des services de Mabel pour se passer d’elle à tout jamais. Quoi qu’il en soit, elle se radoucit.
« Explique-toi d’abord, et nous verrons ensuite.
– Voyons, dit Mabel,
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