La Reine Sanglante
violemment.
« Te voilà, petite Juana, fit Mabel avec un ricanement haineux. Où vas-tu donc ainsi ? quel malheureux vas-tu chercher à attirer dans les filets de la ribaude ?
– Oh ! murmura Juana, vous me faites peur. Jamais je ne vous ai vue ainsi. Laissez-moi. J’ai un message à remplir qui ne souffre aucun retard.
– Un message de la reine, n’est-ce pas ?
– Sans doute. La reine n’est-elle pas notre commune maîtresse ? N’avez-vous pas vous-même cent fois porté ses messages ? Si vous aviez été au Louvre, tout à l’heure, c’est vous, de préférence à moi, qu’elle eût chargée de celui-ci.
– Eh bien, donne. Je m’en charge !
– Impossible, dit Juana. Laissez-moi passer. »
Mabel avait lâché l’un des poignets de Juana et, de sa main libre, elle cherchait le poignard qu’elle portait à la ceinture, comme la plupart des femmes de qualité.
« Vous êtes donc résolue à me tuer ? »
Mabel, sans rien dire, leva l’arme.
Un instant encore, et l’arme s’abattait sur le sein de la jeune fille. Juana fouilla rapidement sous son manteau, en tira deux papiers, l’un enveloppant l’autre, et les tendit à Mabel.
Dans les mouvements que fit celle-ci pour les saisir, Juana se dégagea et s’enfuit comme une biche que poursuit la meute.
Mabel demeura hébétée, ses deux papiers à la main, les yeux fixés sur Juana qui disparaissait au bout de la rue.
« J’eusse dû frapper ! Je veux leur mort à tous ! »
Puis, ramenant machinalement ses yeux sur les parchemins, elle murmura :
« Sans doute, un message pour quelque malheureux. Il sera du moins sauvé pour aujourd’hui. »
Et, avec cette morne indifférence qu’elle avait maintenant pour tout ce qui ne touchait pas à Buridan, elle laissa tomber les parchemins à ses pieds, puis s’en alla lentement.
Tout à coup, prise d’une idée subite, elle revint brusquement sur ses pas.
« Il faut que je sache le nom du malheureux. Si je pouvais le sauver tout à fait ! Moi qui ai porté tant de messages mortels, si je pouvais au moins prévenir cet inconnu de ne pas se rendre au piège où on l’appelle ! »
Elle se baissa et ramassa les papiers qu’elle venait de jeter. Elle déplia celui qui servait d’enveloppe au deuxième et tout de suite son regard tomba sur le sceau royal et la signature : « Louis, roi. »
« Ordre de laisser passer le porteur des présentes », murmura Mabel en lisant.
Un flot de sang avait empourpré son visage.
« Laisser passer, reprit-elle, mais où ? où Juana devait-elle se rendre ?… Ce deuxième papier me l’indiquera peut-être. »
Elle le déplia et le lut d’un trait.
Dans le même instant, elle fut saisie d’un tremblement convulsif, une joie insensée flamboya dans ses yeux ; elle tomba à genoux et cria :
« Dieu est avec moi ! »
Ce billet, c’était celui que Marguerite de Bourgogne avait écrit pour Buridan et que Juana devait porter à la Cour des Miracles.
XI
OÙ SIMON MALINGRE ET GILLONNE CROIENT RÊVER
Nous entrons à la Cour des Miracles au moment où Simon Malingre et Gillonne viennent de ramener Myrtille à Buridan, c’est-à-dire à un moment où Marigny avait fait poster quelques sentinelles autour de la Cour des Miracles, mais où, en somme, le siège n’était pas commencé. Gillonne et Malingre avaient donc pu entrer et accomplir la première partie de leur programme, qui consistait à réunir les deux fiancés depuis si longtemps séparés. La deuxième partie de ce programme consistait à prévenir Valois qu’il trouverait à la fois Buridan et Myrtille dans la Cour des Miracles.
La troisième partie consistait à faire assassiner Buridan.
Pour le moment, Malingre et Gillonne considérèrent que le plus pressé pour eux, c’était de s’éloigner de la Cour des Miracles, car ils redoutaient les questions de Buridan et les explications qui pourraient s’ensuivre.
Profitant donc du moment d’émotion soulevé dans toute la société Buridan par l’arrivée soudaine et inespérée de Myrtille, Gillonne et Malingre s’étaient éclipsés en douceur.
Mais ils n’avaient pas fait vingt pas que Malingre se sentit harponné à la jambe, en même temps que Gillonne était harponnée au bras.
En même temps, deux voix rocailleuses et goguenardes prononçaient :
« On ne passe pas par là ! »
Ils s’aperçurent que la Cour des Miracles avait étrangement changé d’aspect. Des groupes
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