La Reine Sanglante
mot :
« Imbécile !…
– Comment, imbécile ? fit Malingre.
– Tu ne vois donc pas que Bigorne nous a joués ? Tu ne vois donc pas qu’il appartient corps et âme à Buridan ? Tu ne vois donc pas qu’il t’a arraché ton secret mot à mot et que nous sommes ses prisonniers ?…
– Ses prisonniers !… dit Malingre, effaré. Ainsi, ces manchots, ces aveugles, ces nains… ?
– Des hommes à lui qu’il a apostés pour nous barrer tous les chemins et nous pousser ici où il nous attendait !…
– Nous sommes perdus ! murmura Malingre, épouvanté.
– Pas encore ! » répondit Gillonne.
XII
LA VEILLÉE DES ARMES
La première journée qui avait suivit leur réunion s’était passée, pour Buridan et pour Myrtille, comme une minute de bonheur. Buridan songea alors à mettre sa fiancée en lieu sûr, c’est-à-dire à quitter promptement non seulement la Cour des Miracles, mais encore Paris.
Seulement, lorsque Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot, envoyés en éclaireurs, allèrent étudier les ruelles avoisinantes, ils s’aperçurent que la Cour des Miracles était cernée de toutes parts et qu’il n’y avait aucune possibilité de sortir.
Le coup fut terrible pour Buridan.
Bientôt, l’impossibilité même de tenter une sortie armée lui fut démontrée.
Buridan s’organisa donc dans le logis où Hans l’avait installé.
Le lendemain, à la première heure, Hans vint le trouver.
« Enguerrand de Marigny est celui qui dirige toute cette armée qui, en ce moment, assiège le royaume d’Argot. Quelques-uns des nôtres ont pu l’approcher d’assez près. Et je vous dis, cet homme est résolu à détruire la Cour des Miracles. À moins qu’il ne soit poussé par une autre idée », ajouta Hans en regardant fixement Buridan.
Buridan, un instant, baissa la tête et devint pensif.
« Vous avez raison, dit-il, ce n’est pas contre la Cour des Miracles ni même contre mes compagnons qu’Enguerrand de Marigny a amassé dans toutes les rues avoisinantes tout ce qu’il y a d’archers et de gens d’armes dans Paris.
– Et contre qui donc ?
– Contre moi ! » dit Buridan.
Le visage de Hans s’assombrit. Ses poings se crispèrent. Un double éclair jaillit de ses yeux. À ce moment, Buridan prononça :
« Il y a un moyen d’éviter ce carnage : faites-moi conduire à Enguerrand de Marigny, et je vous jure que les troupes royales vont se retirer aussitôt. »
Hans ne répondit pas tout de suite. Il semblait plongé dans une rêverie qui emportait au loin sa pensée.
« Je vous ai accueilli ici comme un frère, je vous ai donné un asile et vous me répondez par une insulte. »
Buridan tressaillit.
« Vous êtes jeune, continua Hans, et vous avez l’esprit troublé par l’amour. Votre insulte, d’ailleurs, était généreuse, puisqu’en me proposant une action vile vous aviez seulement l’intention de sauver un ramassis de mendiants et de ribaudes. Mais, sachez-le, il n’est pas un de ces mendiants, pas une de ces ribaudes qui accepterait d’avoir vie sauve moyennant la lâcheté que vous me proposez. N’en parlons plus. Ce soir, il y aura réunion générale dans cette cour, et là, devant tout le royaume d’Argot assemblé, j’aurai, moi, une autre proposition à vous faire. »
Sur ces mots, Hans sortit, laissant Buridan stupéfait.
*
* *
Cette journée s’écoula dans une inquiétude mortelle pour le jeune homme. S’il avait été seul, l’idée d’une bataille à livrer l’eût galvanisé. Mais il y avait Myrtille ! Et Buridan, à la pensée que la jeune fille allait sans doute mourir, se sentait paralysé, ce qui prouve une fois de plus que l’amour est la pierre d’achoppement des hommes d’action.
Le soir vint enfin.
Sur un mot d’ordre donné par le chef suprême, c’est-à-dire le roi d’Argot, il y avait peut-être là cinq ou six mille hommes et femmes, qui avaient afflué de tous les points du royaume d’Argot. Et tous avaient pris place en bon ordre. Le duc de Thunes, le duc d’Égypte, leurs comtes, leurs suppôts, leurs massiers, les Égyptiens, les hubins, les calots, les coquillards, les courtauds de boutanches : personnages hideux, farouches, déguenillés, figures sombres, tout ce monde inouï, fantastique, fabuleux, formait un ensemble de cauchemar.
Et cependant, tous ces visages étaient graves, tous les regards étaient tournés vers l’estrade, vide pour le moment.
Tout à coup, un
Weitere Kostenlose Bücher