La Reine Sanglante
dit :
« Je jure que je n’ai plus aucune haine contre Enguerrand de Marigny. Je jure que, si le hasard de la mêlée faisait se croiser l’épée du seigneur de Marigny et la rapière de Jean Buridan, la rapière s’abaissera, dût l’épée me percer la poitrine. Es-tu contente, Myrtille ?
– Je te bénis pour la preuve d’amour que tu me donnes. Je te bénis, mon cher amant, puisque tu aimes mieux être uni dans la mort à Myrtille que d’être à jamais séparé d’elle par le sang versé. »
Myrtille avait perdu connaissance.
Buridan la souleva dans ses bras, l’emporta sur le lit.
« Ohé ! seigneur capitaine ! » cria à ce moment une voix.
Buridan reconnut la voix de Bigorne et il se dit que, si Bigorne l’appelait, c’est que l’attaque était imminente.
« Adieu, Myrtille ! » murmura-t-il dans un sanglot.
Il se baissa et, déposant sur ce front virginal un long baiser, il se jeta hors de la chambre sans tourner la tête.
À ce moment, il était terrible.
La voix de Bigorne, une deuxième fois, retentit alors.
« Ohé ! seigneur capitaine, nous avons un prisonnier ! »
Buridan était arrivé en bas.
« Un prisonnier ? demanda-t-il.
– Ou plutôt une prisonnière ! fit Bigorne d’une voix qui parut à Buridan étrangement vibrante. Elle est là », ajouta-t-il, en désignant la grande salle du rez-de-chaussée.
Buridan marcha vers la porte.
« Que veux-tu ? dit Buridan, qui, dans l’exaltation où il se trouvait, redouta une catastrophe inconnue.
– Maître, dit Bigorne, rappelez-vous ce moment solennel où vous avez levé l’épée sur un homme que vous teniez sous vos genoux. L’épée allait frapper. L’homme allait mourir. Alors, je vous ai saisi le bras comme je viens de le saisir et je vous ai dit : « Ne tuez pas le comte de Valois, car le comte de Valois, c’est votre père. »
– Et, maintenant, qu’as-tu à me dire ?
– Rappelez-vous, répondit Bigorne, ce que je vous ai dit ensuite. Je vous ai parlé d’une femme…
– Tu m’as dit, Lancelot, que cette femme c’était… »
Le mot s’étrangla dans la gorge de Buridan.
« Je vous ai dit que c’était votre mère ! dit Bigorne, et maintenant, Jean Buridan, et maintenant, fils du comte de Valois et d’Anne de Dramans, vous pouvez entrer !
– Ma mère ! » balbutia Buridan.
Et il entra.
Mabel était seule dans la grande salle.
Buridan la vit tout de suite dans la demi-obscurité. Il la vit si pâle, avec un visage si douloureux et si rayonnant à la fois, qu’il sentit fléchir ses genoux et s’arrêta contre la porte fermée. Seulement, il éclata en sanglots, ses bras se tendirent dans un geste vague et il répéta :
« Ma mère ! »
… Et tout à coup, il eut cette sensation que deux bras de femme, deux bras frénétiques et tendres le saisissaient avec une violente douceur… Il eut cette sensation, inconnue de lui, que sa tête éperdue se reposait sur un sein de femme qui battait sourdement… Il eut cette sensation de rêve qu’il redevenait enfant et qu’il s’endormait en une délicieuse sécurité sur le sein maternel… Il sentit sur son front une pluie tiède, abondante, précipitée, la pluie des larmes de sa mère… et vaguement, en s’évanouissant, il entendit ces mots :
« Mon Jehan ! mon fils ! je t’ai enfin ! »
Les deux heures qui suivirent furent pour Mabel et Buridan, c’est-à-dire pour la mère et le fils, des heures inoubliables, de ces moments auxquels l’homme, parvenu à la plus extrême vieillesse, reporte encore son souvenir attendri, pour y chercher l’illusion et y trouver encore un dernier rayon, avant de s’enfoncer dans les ténèbres de la mort.
Elle dévorait son fils du regard et le tenait par la main comme pour bien s’assurer que, réellement, elle l’avait. Mais surtout, maintenant que s’était accompli le miracle, elle voulait de toutes ses forces sauver Buridan.
« Maintenant, reprit-elle donc, maintenant, il faut que tu partes…
– Que je parte ?…
– Il faut fuir, te dis-je !…
– Fuir ! Mais même si je le voulais, ma mère, même si je voulais épargner par une lâcheté une douleur que je tremble de vous infliger, comment le pourrais-je ? »
Mabel sortit un parchemin de son sein.
C’était le laissez-passer signé et scellé de la signature royale que Marguerite avait remis à Juana.
Quant au message destiné à Buridan, Mabel le déchira en petits
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