La Reine Sanglante
Temple.
« Ce treizième de septembre, de l’an de grâce 1314.
« LOUIS,
« Roi de France. »
Valois s’empara du parchemin avec un geste de joie qui échappa à Louis Hutin.
« Comment vas-tu t’y prendre ? demanda celui-ci.
– C’est bien simple, Sire. Vous venez de refuser audience à votre ministre. Il va sûrement rentrer dans son hôtel de la rue Saint-Martin. Je vais prendre avec moi une escorte suffisante, le suivre, arriver en même temps que lui à l’hôtel et là le saisir de mes propres mains.
– Et s’il résiste ? fit sourdement le roi.
– S’il résiste ? répéta Valois en cherchant à lire dans les yeux de Louis une volonté que peut-être il n’osait pas exprimer tout haut. Que faudra-t-il faire, Sire, en ce cas ?
– Par Notre-Dame, que fait-on aux rebelles ?
– C’est bien, Sire », dit Valois, qui aussitôt s’éloigna.
Valois s’était jeté dans les antichambres, ramassant sur son passage tout ce qu’il y avait d’hommes d’armes sur lesquels il croyait pouvoir compter. Hugues de Trencavel demeura seul au Louvre avec les Suisses qui formaient la garde royale. Cette troupe montait à cheval un quart d’heure après que Marigny eut quitté le Louvre et se dirigea aussitôt vers la place de Grève, où le comte de Valois s’arrêta devant le logis du prévôt Jean de Précy, lequel, ayant été mis au courant de l’opération qui allait s’accomplir, fut fort étonné et même quelque peu épouvanté. Mais comme Valois le tenait sous son regard, Jean de Précy ne fit aucune observation, monta à cheval et se mit en tête de la troupe, tandis que Valois se plaçait à l’arrière-garde.
*
* *
Au moment où Marigny entrait dans la rue Saint-Martin, où se trouvait son hôtel, un des hommes vint le prévenir qu’une troupe forte d’une soixantaine d’archers et d’hommes d’armes les suivait à faible distance.
La nuit était venue.
Marigny se retourna sur sa selle et, dressé sur ses étriers, jeta au loin un regard perçant.
Il eut un geste de lassitude et mit pied à terre devant son hôtel, dont il ordonna que le pont-levis demeurât baissé. Puis, d’un geste impérieux, il fit entrer ses gens.
« Monseigneur… fit une voix près de lui.
– Que me veux-tu, Tristan ? demanda Marigny.
– Monseigneur, ne serait-il pas bon de sonner du cor pour appeler tout notre monde à la défense de l’hôtel ?
– Tu crois donc que l’hôtel va être attaqué ?
– Je ne sais ce que je dois croire, mais les gens qui nous suivaient m’ont paru de bien mauvaise mine. Pourquoi, monseigneur, pourquoi le roi vous a-t-il refusé audience ? Pourquoi vous fait-il un si sanglant affront ?
– C’est qu’il était occupé, sans doute.
– Pourquoi, monseigneur, une troupe armée en guerre s’attache-t-elle à nos pas… et pourquoi, oh ! tenez… pourquoi s’arrête-t-elle devant l’hôtel ?
– Tristan, fit Marigny d’une voix qui n’admettait pas de réplique, va recevoir les hôtes que le roi nous envoie et, si c’est à moi qu’ils en veulent, fais-les monter dans ma salle d’armes. »
Le serviteur s’inclina profondément et s’élança vers le pont-levis au moment où Jean de Précy ordonnait à un de ses hérauts de sonner du cor.
Pendant ce temps, Enguerrand de Marigny montait lentement jusqu’à la vaste et somptueuse salle d’honneur où, étant assis près d’une table, il laissa tomber sa tête dans ses deux mains et murmura :
« Je n’ai pas de fille ! »
Machinalement, il avait déposé sur cette table le rouleau de parchemin que lui avait remis le blessé rencontré dans la rue aux Forgerons.
« Monseigneur, haleta Tristan, qui rentra précipitamment, c’est le grand prévôt, messire Jean de Précy.
– Eh bien, fit Marigny en se redressant, fais-le entrer ! »
Et Enguerrand de Marigny, haussant les épaules, se dirigea vers son trône, placé au fond de la salle.
À ce moment, les yeux de Tristan tombèrent sur le rouleau de parchemin. Il le saisit machinalement, comme Marigny l’avait déposé sur la table.
Tristan prit ce rouleau et l’emporta, non pas qu’il y attachât une importance quelconque, mais par simple habitude invétérée de mettre en lieu sûr les papiers de son maître dont il avait la garde spéciale.
Quelques instants plus tard, le prévôt entrait dans la salle, escorté de deux hérauts. Les gens d’armes étaient restés à cheval dans la cour de
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