La Reine Sanglante
apprenant ce qui s’était passé à la Cour des Miracles, s’était enfermée dans ses appartements, pas même enfin Lancelot Bigorne qui avait disparu sans que nul pût dire au roi ce qu’il était devenu.
Louis Hutin, qui s’était rapidement habitué aux grimaces de son éphémère bouffon, le redemandait à tous les échos du Louvre, mais en vain.
Bigorne était loin. Et il y avait chance pour qu’il ne revînt pas de si tôt faire rire le roi Hutin, qui aimait tant à rire. Louis, après avoir essayé de passer sa fureur sur les valets ou sur les meubles, envoya donc chercher le comte de Valois, qui bientôt se présenta devant lui.
Louis Hutin allait toujours droit au but ; il ne connaissait point les chemins tortueux de la dissimulation.
« Expliquez-moi, fit-il dès l’abord, les insinuations que ce Lancelot Bigorne a portées contre vous ?
– Je ne comprends pas bien, dit-il. Le roi, je crois, vient de me parler de Lancelot Bigorne ?
– Sans doute ! je te parle de mon bouffon.
– Votre bouffon ! s’écria Valois, stupéfait. Lancelot Bigorne est devenu votre bouffon ?
– C’est vrai, tu ne sais pas. Eh bien, oui ! J’ai pris le digne Lancelot à ma cour. C’est désormais mon fou. Le drôle a disparu, ce qui m’ennuie fort, je l’avoue, car je n’ai vu personne pour me faire rire comme il sait le faire.
– Ainsi, reprit Valois, bouffon ou non, Lancelot Bigorne est venu au Louvre et a disparu ?
– Oui, répondit le roi, et il m’a parlé de différentes choses fort sérieuses, car ce bouffon ne rit pas toujours ; je m’en étais aperçu déjà à la Tour de Nesle. Il m’a parlé entre autre de Philippe d’Aulnay… et de toi.
– Je m’étonne qu’un grand roi comme vous accorde la moindre créance à un pareil misérable. J’ai à dire. Sire, que ce Lancelot Bigorne a été autrefois mon valet et que j’ai dû le chasser. Qu’il cherche à se venger, c’est tout naturel, car son impudence ne connaît pas de bornes. Quant à Philippe d’Aulnay, Sire, il parlera, je vous le jure, ou s’il ne peut parler, il écrira. Par un moyen ou par un autre, je lui arracherai le nom que vous cherchez. J’en prends ici l’engagement solennel.
– Et quand cela ? fit vivement le roi.
– Dès demain ou peut-être même dès ce soir. Mais, Sire, laissez-moi m’étonner que vous ayez l’esprit ainsi préoccupé d’aussi pauvres questions, alors que les intérêts de votre règne sont gravement compromis et que vous-même, Sire, vous êtes menacé !
– Mes intérêts compromis ! moi-même menacé !
– Par qui ? reprit Valois, sûr désormais d’avoir reconquis tout son crédit, par qui, sinon par celui que je vous ai dénoncé.
– Marigny ! s’exclama sourdement Louis.
– Lui-même ! N’avions-nous pas résolu son arrestation ? N’aviez-vous pas tout préparé, Sire, pour cette arrestation qui vous sauvait et sauvait l’État ? Avec une inconcevable audace, Marigny vous a tendu un dernier piège.
– Un piège ! à moi ! gronda le roi, pourpre de fureur.
– À vous, Sire ! Vous avez confié à votre plus mortel ennemi le commandement suprême des compagnies qui devaient cerner la cour des Miracles… Qu’est-il arrivé, Sire ? Vous le savez !…
– Quoi ! tu supposes donc que si mes meilleurs chevaliers et si deux mille de mes archers se sont trouvés prisonniers des truands, c’est que Marigny…
– C’est que Marigny, Sire, les a entraînés ! Ne l’avez-vous pas vu marcher à leur tête ?
– C’est vrai ! c’est vrai ! Oh ! le misérable !
– Mgr Enguerrand de Marigny demande audience ! » fit à ce moment la voix d’un huissier.
Le roi et Valois se regardèrent, tout pâles : Valois, d’un signe, indiqua au roi qu’il devait refuser l’audience.
« Que faire ? bégaya le roi lorsqu’il se trouva seul avec son oncle. Que faire ? Eh ! par Notre-Dame, c’est bien simple. Cet homme trahit, n’est-ce pas ?
– Signez l’ordre d’arrestation, Sire ! dit Valois.
– Et cet ordre, une fois signé, qui l’exécutera ?
– Moi ! » répondit le comte.
Le roi saisit un parchemin et, de sa grosse écriture maladroite écrivit :
« Ordre à messire notre prévôt et à tous sergents de la prévôté et à leur défaut à tout féal seigneur, porteur des présentes, de se saisir de la personne d’Enguerrand, sire de Marigny, et de le conduire en notre forteresse du
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