La Reine Sanglante
au Louvre et de demander à parler au roi. Mais il réfléchit qu’il ne ferait pas dix pas dans la rue sans être arrêté, que même s’il arrivait au Louvre il avait toutes les chances possibles d’être saisi avant d’avoir pu parvenir jusqu’au roi, et qu’enfin, même s’il arrivait à son but qui était de remettre ces papiers à Louis Hutin, il n’aurait fait que perdre Marguerite sans sauver Marigny.
Alors, Tristan se dit que, s’il y avait une personne au monde capable de sauver le premier ministre, cette personne ne pouvait être que la reine elle-même.
« Oui, murmura-t-il. Mais comment parler à la reine ? Et n’est-il pas évident que, si je parviens jusqu’à elle, dès que j’aurai parlé, elle me fera jeter dans quelque cachot si profond que jamais nul ne pourra entendre ma voix ? Qui donc est assez fort, assez audacieux, assez entouré de compagnons d’armes pour risquer sa tête dans une pareille entreprise ? Qui donc, sinon celui qu’Enguerrand de Marigny a tant haï, mais qui aime assez la fille de Marigny pour vouloir à tout prix lui éviter la douleur de voir son père monter à l’échafaud ? Qui donc enfin, sinon Buridan lui-même ? »
Une fois qu’il eut pris cette résolution d’aller trouver Buridan, le digne serviteur se calma peu à peu et il en vint à considérer comme assurée la délivrance de son maître.
Tristan passa donc la journée à rouler force projets dans sa tête et, lorsque la nuit fut venue, il se dirigea vers la Cour des Miracles, où il était sûr de trouver Buridan.
En s’approchant de la Cour des Miracles, Tristan put constater la présence de nombreux postes d’archers échelonnés dans les rues. Comment il parvint à passer à travers ces postes, lui-même ne put jamais s’en souvenir.
Toujours est-il que, vers onze heures du soir, il se trouvait entre deux truands qui venaient de lui mettre la main au collet et lui demandaient, non sans force bourrades, ce qu’il venait faire si près de la Cour des Miracles.
« Messeigneurs, je suis venu ici pour parler à votre chef, l’illustre capitaine Buridan. »
XXIV
QUI EST LA SUITE DU PRÉCÉDENT
Cette même journée avait été terrible pour Buridan. La défaite qu’il avait essuyée au Temple avait violemment frappé cet esprit sensible et prompt aux imaginations heureuses ou malheureuses, selon les événements.
Ainsi donc, non seulement il n’avait pu tirer Philippe des mains de Valois, mais encore Gautier était resté dans la bagarre !
Buridan, ayant perdu Philippe et Gautier, se sentit seul et désespéré.
Il passa donc cette journée enfermé dans sa chambre, allant et venant, tantôt à pas précipités, tantôt avec découragement, quelquefois combinant un nouveau plan d’attaque et d’autres fois se disant que ses malheureux amis étaient bien perdus.
La nuit vint sans qu’il s’en aperçût.
Et, comme il était dans cet état de marasme qui suit de près les catastrophes, il vit tout à coup sa chambre s’éclairer.
« Qui vient là ? gronda-t-il.
– Moi, seigneur Buridan », fit la voix de Bigorne.
Et Lancelot entra et déposa deux flambeaux sur la table.
« Que veux-tu ? demanda rudement le jeune homme.
– Venez toujours et vous verrez. »
Buridan se décida à suivre Bigorne jusque dans la salle basse où, peut-être, il espérait vaguement revoir un de ceux qu’il regrettait, Lancelot l’ayant habitué à ces surprises.
Mais, en fait de spectacle – et nous devons avouer que c’en était un des plus intéressants, – il ne vit qu’une table bien éclairée de deux flambeaux et qui semblait attendre des convives. Ces convives, pour le moment, c’étaient Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot.
À l’entrée de Buridan, les deux compères poussèrent un cri de joie et eurent la même exclamation :
« À table ! »
Buridan secoua la tête. Guillaume le prit par la main et le conduisit devant un buffet chargé de victuailles.
« Buridan, s’il est dans ton intention de nous faire mourir de faim, dis-le-nous pour que nous puissions nous confesser et passer de vie à trépas selon la bonne règle. »
Déjà, Guillaume et Riquet étaient à table et Buridan, malgré sa douleur sincère, n’avait pu renifler le parfum de ces bonnes victuailles sans se sentir attendri.
« Après tout, je ne peux pas affamer les compagnons qui me restent sous le prétexte que j’en ai perdu deux. »
Tout en mangeant, buvant et
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