La Reine Sanglante
messieurs, vive le roi ! Désormais, il n’y a plus qu’un roi de France et, ce roi, c’est moi. Chacun à son rang, chacun à son poste ! Et malheur à qui oserait se dresser près du roi assez haut pour qu’on puisse le confondre avec le roi ! »
Ces paroles produisirent un terrible effet. Un silence de stupeur et d’inquiétude remplaça les acclamations de tout à l’heure. Valois, pâle et balbutiant, voulut dire quelques mots. Mais le roi, qui s’exaspérait lui-même au bruit de ses propres paroles, l’interrompit et lui demanda rudement :
« Ce prisonnier… ce Philippe d’Aulnay, l’a-t-on interrogé ? Et l’autre, ce Gautier, qu’en a-t-on fait ?
– Sire répondit Valois, les deux frères sont dans de bons cachots. On leur appliquera la question dès qu’il plaira à Votre Majesté. Mais ne serait-il pas bon d’abord de nous occuper de cet autre prisonnier, plus intéressant, qui s’appelle Enguerrand de Marigny ?
– Nous verrons, fit le roi. Rassemblez le conseil, mon cher comte, et nous discuterons ces graves questions. »
En même temps, il se dirigea rapidement vers la porte de l’oratoire et passa chez la reine.
Elle attendait la visite du roi à la fois avec une impatience fébrile et une sourde terreur.
Elle ne put donc s’empêcher de tressaillir et de pâlir lorsqu’elle vit tout à coup entrer Louis Hutin. Mais, rassemblant toutes ses forces d’esprit, tous ses moyens de séduction, elle renvoya d’un signe imperceptible ses deux sœurs, qui se trouvaient près d’elle, et s’avança vers le roi avec ce sourire de charme qui le rendait souple et soumis comme un amoureux passionné qu’il était d’ailleurs.
Louis la serra tendrement dans ses bras, puis, prenant la tête de Marguerite à deux mains, il la fixa longuement.
« Comme vous êtes pâlie ! murmura enfin le roi ; par Notre-Dame, il me semble que vous êtes maigrie, que vos traits sont tirés, qu’il y a je ne sais quelle morne tristesse dans vos beaux yeux.
– Quoi d’étonnant à cela, mon cher Sire bien-aimé, puisque depuis quelques jours je vous vois sombre, inquiet, agité. Croyez-vous que je ne sois pas tourmentée de vos tourments ? Cette affaire de la Cour des Miracles m’a causé un chagrin qui m’a tenu les yeux ouverts. »
Le roi souriait, égoïstement heureux de ce chagrin qu’il voyait à Marguerite.
« Chère âme, dit-il, je voudrais tous les jours essuyer une défaite comme celle de la Cour des Miracles, pour avoir le bonheur d’être ainsi plaint et caressé par vous. »
Il s’était assis près d’elle, lui tenant la main, la contemplant avec une tendresse et un bonheur indicibles.
« Mais vous pouvez vous rassurer, reprit-il. Ce Buridan du diable ne tardera pas à tomber entre nos mains. »
Marguerite tressaillit et sa pâleur s’accentua.
« En êtes-vous sûr. Sire ! fit-elle d’une voix étrange.
– Sans aucun doute. J’ai bien juré de respecter le privilège qui fait de la Cour des Miracles un refuge et je tiendrai ma parole. Mais le royaume d’Argot est cerné de toutes parts, et, à moins de consentir à vivre toute sa vie comme en prison, Buridan ne saurait tarder à être pris. Ainsi, non seulement Buridan, mais toute la bande des rebelles sera bientôt conduite aux Fourches de Montfaucon, ce qui vous fera une belle matinée de plaisir et d’amusement. »
Marguerite devint si pâle que le roi s’en aperçut :
« Par Dieu, chère Marguerite, je crois que vous vous affaiblissez ! Holà, Jeanne ! Holà, Blanche ! la reine se meurt !
– Non, non, balbutia Marguerite, ce n’est rien, Sire ! Mais l’idée que mon roi est entouré de tant d’ennemis me fait un mal affreux ! »
À demi rassuré, le roi la consolait à sa manière, lui assurait que bientôt il serait débarrassé de tous ses ennemis et que, déjà, le principal d’entre eux, Enguerrand de Marigny, était arrêté.
« Quant aux rebelles, terminait à ce moment le roi en se levant, ne vous inquiétez plus ; déjà, nous en tenons deux, Philippe et Gautier d’Aulnay.
– Et quel châtiment leur réservez-vous, Sire ? »
Placé ainsi tout à coup en présence d’une question précise, Louis Hutin hésita un instant. Mais peut-être était-il tout à la tendresse, car, pensif, il répondit :
« Ces deux-là ne m’ont pas fait grand mal, il est vrai… et, après tout, ils sont braves… et puis, c’étaient des ennemis implacables à mon
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