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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Modiano
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Trouvez-moi un peintre habile. À partir d’aujourd’hui, je m’appelle Henri de Bel-Respiro. » Il répétait, émerveillé : « Monsieur le Préfet de police Henri de Bel-Respiro. » Une telle soif de respectabilité me bouleversait car je l’avais déjà remarquée chez mon père, Alexandre Stavisky. Je garde sur moi la lettre qu’il écrivit à maman avant de se suicider : « Ce que je te demande surtout, c’est d’élever notre fils dans le sentiment de l’honneur et de la probité ; et, lorsqu’il aura atteint l’âge ingrat de la quinzième année, de surveiller ses fréquentations pour qu’il soit bien guidé dans la vie et qu’il devienne un honnête homme. » Lui-même, je crois, aurait aimé finir ses jours dans une petite ville de province. Trouver le calme et le silence après des années de tumulte, vertiges, mirages, tourbillons éperdus. Mon pauvre père ! « Vous verrez. Quand je serai préfet de police, tout s’arrangera. » Les autres devisaient à voix basse. L’un des frères Chapochnikoff apportait un plateau d’orangeades. N’étaient la tache de sang au milieu du salon et leurs costumes bigarrés on aurait pu se croire en très bonne compagnie. Monsieur Philibert rangeait ses fiches et s’asseyait au piano. Il époussetait le clavier avec son mouchoir, ouvrait une partition. Il jouait l’adagio de la Sonate au clair de lune. « Mélomane, chuchotait le Khédive. Artiste jusqu’au bout des ongles. Je me demande ce qu’il fait parmi nous. Un garçon d’une telle valeur. Écoutez ! » Je sentais mes yeux s’agrandir démesurément sous l’effet d’un chagrin qui avait épuisé toutes les larmes, d’une si grande fatigue qu’elle me tenait éveillé. Il me semblait que depuis toujours je marchais dans la nuit au rythme de cette musique douloureuse et obstinée. Des ombres agrippaient les revers de ma veste, me tiraillaient des deux côtés, m’appelaient tantôt « Lamballe », tantôt « Swing Troubadour », me poussaient de Passy en Sèvres-Lecourbe et de Sèvres-Lecourbe en Passy sans que je comprisse rien à leurs histoires. Le monde, décidément, était plein de bruit et de fureur. Aucune importance. Je passais au milieu de cette agitation, raide comme un somnambule. Les yeux grands ouverts. Tout finirait par se calmer. La musique lente que jouait Philibert imprégnerait peu à peu les êtres et les choses. Ça, j’en étais sur. Ils avaient quitté le salon. Un mot du Khédive sur la console : « Tâchez de livrer Lamballe le plus vite possible. Il nous le faut. » Le bruit de leurs automobiles décroissait. Alors, devant le miroir de Venise, j’articulais distinctement : JE SUIS LA PRINCESSE DE LAM - BAL - LE . Je me regardais droit dans les yeux, appuyais mon front contre la glace : je suis la princesse de Lamballe. Des assassins vous cherchent dans le noir. Ils tâtonnent, vous frôlent, trébuchent contre les meubles. Les secondes semblent interminables. Vous retenez votre souffle. Trouveront-ils le commutateur ? Qu’on en finisse. Je ne résisterai plus longtemps au vertige, marcherai vers le Khédive, les yeux grands ouverts et collerai mon visage au sien : JE SUIS LA PRIN - CES - SE DE LAM - BAL - LE , le chef du R.C.O. À moins que le lieutenant Dominique ne se lève brusquement. D’une voix grave : Il y a un mouchard parmi nous. Un dénommé Swing Troubadour — C’est MOI , mon lieutenant. » Je levai la tête. Un papillon de nuit voletait d’un lustre à l’autre et pour qu’il évitât de se brûler les ailes j’éteignais la lumière. Personne n’aurait jamais une aussi délicate attention à mon égard. Il fallait me débrouiller tout seul. Maman se trouvait Loin d’ici, à Lausanne. Fort heureusement. Mon pauvre père, Alexandre Stavisky, était mort. Lili Marlene m’oubliait. Seul. Je n’avais ma place nulle part. Pas plus rue Boisrobert que square Cimarosa. Rive gauche je cachais aux braves petits gars du R.C.O. mon activité d’indic ; Rive droite, le titre de « Princesse de Lamballe » m’exposait à de sérieux ennuis. Qui étais-je au juste ? Mes papiers ? Un faux passeport Nansen. Indésirable partout. Cette situation précaire m’empêchait de dormir. Aucune importance. Outre mon travail annexe de « récupérateur » en objets précieux, j’exerçais au 3 bis la fonction de veilleur de nuit. Après le départ de Monsieur Philibert, du Khédive et de leurs hôtes, j’aurais pu me retirer

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