La Rose de Sang
se
le fit pas dire deux fois.
Après avoir devisé
de banalités en marchant de long en large, Volker se mit en devoir d'expliquer
à Zéphyrine le nom de toutes les voiles, du hunier au perroquet en passant par
le petit et, bien sûr, le grand cacatoès, sans oublier la civadière et cette
nouvelle voile du beaupré...
Finalement, la
conversation ne manquait pas d'intérêt et avait surtout celui de sortir
Zéphyrine de ses sinistres pensées.
Le vent oriental se
mit à souffler. C'était un vent sec et chaud venant d'Afrique [8] . Aux petits
soins, le chevalier s'enquit :
— Votre
Altesse souhaiterait peut-être s'abriter... Vous plairait-il de visiter nos
palefrois et destriers dans l'écurie ?
— Pourquoi
pas...
En bonne cavalière,
Zéphyrine connaissait la différence qui existait entre ces chevaux de parade et
de guerre.
Le chevalier
entraîna la princesse vers les entreponts.
Tout occupé à
conter fleurette, il ne vit pas l'ombre d'un homme qui se glissait à leur suite
dans les entrailles du navire.
— Sang
dieu ! Sardanapale !
Des haubans où il
était perché, Gros Léon croassait. L'oiseau noir tournoya au-dessus de la
caraque avant de piquer vers les chambres de parade.
Zéphyrine avait
l'impression qu'on allait descendre jusqu'à la quille. Volker ne lui faisait
grâce de rien. La jeune femme admirait l'organisation du navire. Elle se rendit
compte à quel point elle était privilégiée de vivre au « paradis » en voyant
tous ces pauvres gens tassés les uns contre les autres sous la deuxième
galerie. L'odeur était insupportable, car ils devaient faire leurs excréments
là où ils pouvaient et se contentaient de jeter un seau d'eau de mer dessus.
Après avoir vu la
cuisine, puis la soute à pain, les jeunes gens arrivèrent à 1' « étable ».
Zéphyrine alla caresser Rosalie qui chevrota de joie. La cale suivante,
éclairée par les sabords de charge, était l'écurie. Devant le hideux spectacle,
Zéphyrine recula. Une quarantaine de chevaux étaient suspendus au pont
supérieur par des sangles leur passant sous le ventre. Voir ces pauvres
animaux, les jambes pendant à deux pieds de la paille, avait quelque chose de
révoltant et de cruel.
Pour ajouter à la
barbarie, des palefreniers fouettaient les bêtes. Elles agitaient leurs jambes
en hennissant.
Zéphyrine balbutia
:
— Pourquoi
ce traitement affreux ?
Volker n'eut pas
l'air de comprendre, puis il réalisa :
— C'est
au contraire grande humanité, Madame, les chevaux supportent très mal la mer.
Le roulis risque de les faire glisser, plus grave, de les blesser, c'est
pourquoi nous les attachons au plafond...
— Mais
pourquoi les fouetter? s'indigna Zéphyrine.
— Pour
qu'ils ne s'ankylosent point... Regardez : Pacha, mon destrier, en est très
heureux...
S'approchant d'un
grand alezan à la robe sombre, le chevalier saisit un fouet accroché à une
patère. Il commença à lui donner de petits coups sur la croupe, puis de plus en
plus fort. L'animal agitait ses sabots. De fait, son hennissement semblait
montrer sa satisfaction.
Après cette visite,
Volker entraîna Zéphyrine vers la cave à vins.
— Me
permettez-vous, Madame, de vous offrir un gobelet de malvoisie ou de tokay,
souverain contre le mal de mer?
Zéphyrine pensa à
la pauvre Pluche.
— J'en
rapporterais volontiers à ma dame de compagnie qui est alitée et fort souffrante...
Après avoir allumé
une chandelle, le chevalier Volker entraîna la jeune femme vers les tonneaux.
Il prit deux gobelets d'étain accrochés à la cloison. En homme qui connaît son
vin, il alla directement au fût de tokay. Zéphyrine entendit qu'il remplissait
les récipients. Il revint en tendant l'un des gobelets à la jeune femme.
— Puisse
ce voyage vous apporter le bonheur, princesse Farnello...
Il entraîna
Zéphyrine s'asseoir sur un fût vide renversé. Tout en restant debout, il
pérorait sur le danger et les superstitions.
— Savez-vous
pourquoi, Madame, il est interdit de siffler à bord des bateaux ? parce
que cela appelle grand vent et tempête...
La voix du
chevalier Volker ronronnait, pas désagréable. L'esprit ailleurs, Zéphyrine
buvait à petits coups. De fait, le tokay lui faisait du bien, lui donnant une
sensation de force et de chaleur.
Tout en continuant
de parler, Volker reprit le gobelet vide de Zéphyrine pour aller
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