La Rose de Sang
Dans le médaillon qu'elle portait sur son
sein et que Fulvio lui avait remis la nuit précédant sa fuite de l'Etna, il y
avait le talisman des deux familles Saint-Savin et Farnello : les trois
plaquettes mauves, sorties des trois colliers d'émeraudes, aux mystérieuses
inscriptions, donnant accès, les jeunes gens le pensaient, au trésor de Saladin [9] .
Fulvio les avait
confiées à Zéphyrine avec ces mots tendres : « Cache cela dans ton opulente
poitrine de nourrice, Cara mia... Ne t'en sépare ni de jour ni de nuit, n'en
parle à âme qui vive, le talisman de Saladin te revient de droit. En attendant
de le comprendre, garde-le précieusement pour nos enfants... »
Zéphyrine avait
toute confiance en Villiers de L'Isle-Adam, mais, avec une sagesse
exceptionnelle pour cette jeune femme de vingt ans, elle choisit de détourner
la question :
— Je
crois, Eminence, que... cet individu en voulait à mon honneur.
Villiers de L’Isle-Adam
pâlit. Un violeur à bord de la caraque des chevaliers de Dieu. Quelle honte !
— Par
saint Jean, notre patron, princesse Farnello, je vous jure que si nous
retrouvons le malandrin, il aura, devant tout l'équipage, la main clouée au
mât, puis la langue percée d'un poignard et, avant de le jeter à la mer, sa
tête sera arrosée de poix brûlante...
Sur cette promesse
qui donna un haut-le-cœur à Zéphyrine, Philippe Villiers de L'Isle-Adam prit
congé.
Au lieu d'être
inquiète, les jours suivants, Zéphyrine fut au contraire soulagée. On ne
retrouva pas l'assassin, ce qui lui évita le spectacle promis par le grand
maître. Surtout, Zéphyrine avait maintenant la certitude que doña Hermina était
vivante : c'était elle qui avait envoyé un homme de main pour la tuer !
Zéphyrine avait la
preuve que, dans sa haine, sa belle-mère ne désarmait pas. La jeune femme en
était heureuse. Si doña Hermina était vivante, c'est que Luigi l'était aussi.
La seule chose que
Zéphyrine ne savait pas, c'était si elle poursuivait doña Hermina ou si c'était
doña Hermina qui la pourchassait.
Après quelques
jours où l'on put craindre pour la vie du chevalier Volker, bien pâli, il
remonta sur le pont. Avec un gros pansement sur le front, le pauvre n'avait
plus le cœur à marivauder.
Il y eut des
tentatives d'attaque de la flotte de l'ordre par les Barbaresques. On échangea,
de part et d'autre, quelques coups de canon pour montrer sa prédominance sur la
Méditerranée, mais aucun boulet n'atteignit son but.
A part ces
incidents, ce fut dans l'ensemble un voyage assez calme. Demoiselle Pluche
avait découvert, grâce à sa maîtresse, les vertus du tokay. Elle passa le reste
de la traversée au lit. Nul ne sut si c'était à cause du roulis ou parce que la
brave Arthémise avait trouvé la meilleure occasion de sacrifier à sa faiblesse
pour Bacchus.
Après vingt-neuf
jours de mer, Zéphyrine était avec Corisande, dans sa chambre, quand le
chevalier Volker, qui commençait à retrouver sa mine gaillarde, vint frapper à
sa porte.
— Madame...,
voici les côtes de l'Espagne.
Chapitre IV
LE MENDIANT DE VALENCIA
S'il était un
endroit en ce début du XVI e siècle où le voyageur pouvait avoir
envie de s'arrêter pour y rester à jamais, c'était bien cette terre délicieuse
des environs de Valencia.
Tout était vert,
verts les arbres, vertes les herbes, les vignes et les palmiers.
Regalada, disaient les
Aragonais. Zéphyrine le traduisait par « Terre offerte ».
Dès qu'elle y posa
le pied, l'odeur enivrante des citronniers, des orangers et des mûriers la
revigora.
Située dans la
huerta de Liria, blottie contre la rive droite du Turia ou « Fleuve blanc » en
arabe, Valencia était une ville séduisante dont les rues offraient un tracé
capricieux.
En débarquant de la
caraque, le grand maître partit devant à la tête de vingt chevaliers montés sur
leurs destriers. Pour sauver les apparences désirées par Villiers, Zéphyrine et
ses gens suivaient en litière et à dos de mulet. Deux de ces solides animaux
tiraient un petit chariot où l'on avait installé coffres de voyage et...
Rosalie.
Tout en traversant
la ville dans sa litière, Zéphyrine remarqua l'entassement des monuments lui
rappelant que la cité avait été aux mains des Maures jusqu'en 1238, date où
Jacques I er , roi d'Aragon, dit « El Conquistador », l'avait ramenée
à la Chrétienté.
— Oui-da,
Madame, si vous repensez à vos
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