La Sibylle De La Révolution
répondit.
— Entrez, frères.
Ils obéirent et montèrent
jusqu’au troisième étage pour se retrouver à l’intérieur d’un vestibule. La
femme s’éclipsa. Un homme les attendait là. Il portait une longue robe blanche
qui lui donnait l’apparence d’un patricien romain. Les signes recommencèrent.
— Frère, assieds-toi.
Il désigna un fauteuil à
Gabriel-Jérôme, tandis qu’il faisait signe à Svendenborg de le suivre dans une
pièce attenante. L’ameublement y était étrange et exotique. On y découvrait un
style oriental qui ne serait vulgarisé en France que bien plus tard, après
l’expédition menée par Napoléon en Egypte. Il s’assit donc sur le siège dont le
tissus chatoyait de mille couleurs. De nombreux coussins leur assuraient un
confort remarquable.
Peu d’ornements au mur, si ce
n’est d’étranges signes en bois sculpté. Des lettres, peut-être, mais
appartenant à un alphabet fort ancien.
« Si seulement
Marie-Adélaïde était là… Elle saurait ! » se dit-il avec regret. Se
pouvait-il qu’elle lui manque à ce point, alors qu’il l’avait quittée depuis
moins d’une heure ?
Enfin, son mentor, vêtu
maintenant de noir, revint avec une autre femme, apprêtée d’une longue robe
blanche.
— Viens vers
l’immortalité, homme mortel, lui dit-elle. La mère de Dieu te permet d’entrer.
Le visage de Svendenborg ne
trahissait aucun sentiment. C’était un habile comédien, Sénart l’avait déjà
remarqué à Ermenonville. Le secrétaire rédacteur les suivit donc jusque dans
une très vaste pièce aux ornements encore plus excentriques que ceux du
vestibule. Le plafond en était peint en bleu marine et on avait dessiné sur ce
ciel nocturne de nombreuses petites étoiles dorées. Les murs étaient recouverts
de symboles grossièrement badigeonnés. Il y avait là les objets les plus divers :
la croix du Christ y côtoyait l’équerre et le compas des francs-maçons. Un
crâne humain dominait une république bien mal dessinée. Le mur du fond était
fermé par un vaste rideau et de nombreux sièges avaient été disposés dans la
pièce. Seules trois minuscules fenêtres grillagées s’ouvraient sur l’extérieur
mais on ne voyait rien de ce qui se passait dehors. Juste devant le rideau, une
femme vêtue de blanc, elle aussi, allumait les cierges d’un volumineux
chandelier à trois branches sans doute acquis lorsqu’on avait dispersé les
biens de l’Église aux plus offrants. Elle plaça de part et d’autre de la pièce
de bronze une chaise et un fauteuil sur lequel elle déposa un livre.
Pour finir, elle se tourna vers
une pendule accrochée au mur et qui semblait bloquée sur minuit.
— L’heure avance, dit-elle, la
mère de Dieu va paraître pour recevoir ses enfants.
Puis elle se retira. Sénart
commençait à s’impatienter. Que signifiaient toutes ces simagrées ? Rien
de tout cela ne ressemblait à la description que lui avaient faite
Marie-Adélaïde et Svendenborg de la loge des frères de l’ombre. Ces gens
avaient des allures d’illuminés, mais ne présentaient certainement pas le
moindre danger. N’étaient leurs longues robes et l’étrangeté de
l’environnement, les femmes aperçues auraient pu passer pour des bigotes dans
n’importe quelle église. Il allait interroger le Suédois lorsqu’une autre femme
apparut. Elle venait de derrière le rideau et portait la sempiternelle robe
blanche.
— C’est l’éclaireuse, lui
souffla son compagnon.
Il ne répondit rien, se
contentant d’attendre. Elle se plaça au milieu, juste devant le chandelier, et
se tourna vers lui :
— Enfant de Dieu,
prépare-toi à chanter la gloire de l’Être suprême. Dispose-toi en face de nous.
Gabriel-Jérôme se trouva donc placé
sur la chaise dominée par le grand chandelier et, à ce moment-là, le rideau
s’ouvrit.
Il y avait là une estrade sur
laquelle étaient disposés trois fauteuils : un bleu, un blanc, un rouge.
Une sonnerie retentit. Une alcôve, située sur les côtés de l’estrade, s’ouvrit
et il vit apparaître une vieille femme soutenue par deux autres. Sa tête et ses
mains étaient comme en perpétuel mouvement. Le jeune homme l’examina
attentivement : grande, sèche, presque diaphane, deux yeux exaltés, une
chevelure épaisse et argentée qui formait une auréole autour de son visage.
Rien ne la différenciait de ces exaltés mystiques qui encombraient les asiles
de fous. Les deux suivantes la
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