La Sibylle De La Révolution
placèrent avec d’infinies précautions sur le
fauteuil central, le blanc, et baisèrent ses pantoufles.
— Gloire à la mère de
Dieu !
Ensuite, elles prirent une
aiguière et un linge blanc avec lesquelles elles lavèrent les mains de la
mystique.
Il sursauta : une
véritable petite foule entrait maintenant dans la salle. C’étaient surtout des
femmes. De tous âges et toutes vêtues de blanc ce qui ajoutait encore à
l’étrangeté de l’atmosphère.
Alors, la doyenne parla d’une
voix tremblante mais passionnée, en articulant soigneusement chaque
syllabe :
— Enfants de Dieu, votre mère
est au milieu de vous. Je vais purifier le profane.
Sur un signe des deux femmes
qui entouraient la mère de Dieu, Sénart s’avança jusqu’au bord de l’estrade,
monta et dut lui baiser le front.
Elle lui mit la main sur la
tête.
— Ami de mon fils, je te
chéris.
Puis il retourna à sa place. Il
commençait vraiment à en avoir assez lorsque l’alcôve s’ouvrit de nouveau et
là, il tressaillit. L’homme rencontré devant Notre-Dame de Paris, le fameux dom
Gerle, parut. Immédiatement, les femmes réunies là s’inclinèrent. Il baisa la
joue de la femme, qui lui dit avec solennité :
— Prophète de Dieu, prends
séance.
Et il s’assit sur le fauteuil
rouge.
L’éclaireuse prit place sur le
fauteuil situé en contrebas de l’estrade après avoir saisi le livre qu’elle y
avait préalablement posé. Deux autres, une brune et une blonde fort jeunes et
fort jolies s’installèrent sur les chaises disposées de part et d’autre du
chandelier.
— Ce sont la colombe et la
chanteuse, lui chuchota Svendenborg.
Avant que Sénart ait pu
comprendre ce que l’autre avait voulu dire, Gerle leva la main droite et
parla :
— Frère et sœur,
assistez !
Puis se retournant vers le
profane, il prononça avec gravité :
— Et vous, profane,
disposez-vous à la grâce de Dieu. Levez la main droite et répondez… Jurez-vous,
promettez-vous de répandre jusqu’à la dernière goutte de votre sang pour
soutenir et défendre, soit l’arme à la main, soit par toutes les morts possibles,
la cause et la gloire de l’Être suprême ?
Il fallait répondre, aussi
n’hésita-t-il qu’un instant :
— Je le jure !
Ces simagrées le dégoûtaient.
De même, il lui répugnait de faire un faux serment, mais, en pleine cérémonie
d’initiation, aucune autre solution ne lui vint à l’esprit que ce parjure.
Gerle continua, les yeux
plongés dans ceux de Sénart, comme s’il tentait de déchiffrer ses pensées.
— Jurez-vous, promettez-vous
obéissance et respect à la mère de Dieu ici présente ?
— Je le jure.
— Promettez-vous soumission aux
prophètes de Dieu et à leurs ministres ?
— Je le jure.
À ce moment, l’éclaireuse prit
le livre, l’ouvrit et se mit à lire d’une voix monocorde :
Les sept sceaux de Dieu sont
mis sur l’Evangile de la vérité. Cinq se sont levés, Dieu a promis de se
révéler à notre mère à la levée du sixième. Quand le septième s’élèvera, prenez
courage en quelque lieu que vous soyez, quelque chose que vous voyiez, la terre
sera purifiée, tous les mortels périront mais les élus de la mère de Dieu ne
mourront pas et ceux qui seront frappés d’un accident quelconque renaîtront
pour ne jamais mourir. Le premier sceau de l’Évangile fut l’annonce du verbe.
Le deuxième fut la séparation de tous les cultes, le troisième fut la
Révolution, le quatrième la mort des rois, le cinquième, la réunion des
peuples, le sixième, le grand combat de l’ange exterminateur, le septième sera
la résurrection de tous les élus de la mère de Dieu au-dessus de tous les
peuples de la Terre et le bonheur général surveillé par les prophètes et leurs
ministres.
Elle parla encore longtemps
ainsi, mais il ne pouvait se permettre d’exprimer, fût-ce par un simple regard,
son ennui. Gerle, du haut de l’estrade, l’examinait avec une attention soutenue.
Après une nouvelle lecture de l’évangile, on lui expliqua que Dieu avait pour
mère Catherine Théos – la femme tremblante et exaltée sur le fauteuil
blanc –, que le Verbe de Dieu était son fils, qu’elle répandait la parole
de Dieu et qu’elle en recevait des révélations…
Puis ce fut fini. Gerle leva
les mains au ciel et les deux femmes, la colombe et la chanteuse, conduisirent
Sénart jusqu’à l’estrade. Il dut s’incliner devant la mère de Dieu
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