La Sibylle De La Révolution
peuple de Paris s’apprêtait à
dormir. Ceux qui possédaient le pouvoir et l’impunité iraient s’encanailler
dans quelque établissement douteux. Les riches continueraient leurs trafics,
ils spéculeraient sur la cherté des marchandises, ils accumuleraient des stocks
toujours plus énormes faisant monter les prix pour s’enrichir toujours plus.
Les proscrits souffleraient, soulagés par la fausse impunité que leur donnerait
la nuit. Paris ne se reposerait pas. Paris ne se reposait jamais. Paris se contentait
de fermer un œil, mais toujours, que ce soit en plein midi ou au milieu de la
nuit, la ville continuait à vivre et à bouillonner. Partout ce n’était que complots :
pour renverser les Comités, pour s’emparer de nouveaux approvisionnements, pour
écarter ou faire tomber quelque conventionnel importun. Il y aurait des crimes
crapuleux, des vengeances, des cadavres qu’on retrouverait au petit matin, on
accuserait les contre-révolutionnaires qui, dans la plupart des cas, n’y
étaient pour rien. Dans les rues de Paris circulaient les émissaires de
l’étranger, des envoyés des provinces de l’Ouest, des déserteurs venus du front
de l’Est apportant de mauvaises nouvelles, vraies ou fausses, cela n’avait
guère d’importance. La Révolution avait créé un mouvement et rien ne
l’arrêterait, pas même la nuit.
Il se retourna vers
Marie-Adélaïde qui l’observait.
— Tire-moi les cartes !
Elle lui renvoya un regard
mystérieux.
— Tu le veux vraiment ?
— Oui.
Elle dégagea la petite table au
milieu de la pièce, n’y gardant que le jeu de tarots. Elle déposa la carte
représentant un homme.
— Te voici. Maintenant, il nous
faut choisir la carte qui représentera quel aspect de l’avenir tu veux
connaître.
Après un instant de réflexion,
elle choisit les nuages.
— C’est la carte des
perturbations, des coups du sort. À tout moment, l’orage peut éclater et la
foudre tomber. Nous allons voir comment ta situation actuelle va évoluer.
Donne-moi cinq chiffres.
Sénart obtempéra, avec la nette
impression de revivre la même scène qu’à la Petite Force.
— Trois, cinq, douze,
vingt-quatre et trente.
C’était la même combinaison que
l’autre jour. Elle approuva gravement de la tête et sortit les cinq cartes
correspondantes.
— Le serpent, les oiseaux, le
cercueil, les monts et le cœur. Voilà qui est étrange…
— Explique-toi.
Elle se pencha sur les cartes
comme si elle essayait de comprendre leur sens secret :
— Je vois la mort. Elle va
arriver par un… par un message. Un message apportera la mort.
— Je vais mourir ?
Elle secoua la tête :
— Pas forcément. Les oiseaux ne
sont pas une carte néfaste. Néanmoins, tu croiseras bientôt la mort. Un message
t’y conduira. Il te faudra prendre garde à ne pas tomber dans les pièges que te
tendra le destin. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura des morts, beaucoup de
morts. Voilà ce que je peux lire dans les cartes. Ce n’est pas très précis et
tu n’apprends rien que tu ne saches déjà mais c’est tout ce que je puis dire.
Elle allait se lever et ranger
les cartes, mais le jeune homme l’arrêta et lui prit le poignet.
— Attends, pourquoi ne m’as-tu
pas parlé de celles-ci ?
Il montrait les cartes du
serpent et du cœur. Aucune expression ne se lisait sur le visage de la jeune
femme. Elle reprit d’une voix atone :
— Le serpent, c’est la femme
aux belles paroles, l’enjôleuse que tu as déjà rencontrée. Le cœur, cela se
passe de commentaire, c’est l’amour. Associé aux oiseaux, c’est un gage, le
début d’une passion, associé au cercueil, seuls restent le chagrin et les regrets.
Il lui tenait toujours le
poignet.
— Qu’est-ce que cela veut
dire ? Sois plus claire !
Elle le regarda droit dans les
yeux, de nouveau, elle avait reprit sa figure de pythonisse mais avec une telle
expression de désespoir qu’il en frémit.
— Cela veut dire que la femme
serpent va se donner à toi, que tu vas l’aimer et qu’elle va t’aimer.
Il la lâcha, interdit. Pendant
un long moment, ils restèrent silencieux, chacun d’un côté de la table.
Finalement, c’est elle qui se leva et vint s’agenouiller à ses côtés.
— Gabriel, oublions un instant
le cercueil, les orages, les oiseaux. Je suis la femme serpent et je me donne à
toi.
Une brusque rougeur lui monta
au visage. Elle était jolie, divinement, presque excessivement. Petit à
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