La Sorcière
enlaidie, comme elle le sera au temps de la grande agriculture. Elle a plus de loisir aussi.
Ne la jugez pas du tout par la littérature grossière des Noëls et des fabliaux, le sot rire et la licence des contes graveleux qu'on fera plus tard. — Elle est seule. Point de voisine. La mauvaise et malsaine vie des noires petites villes fermées, l'espionnage mutuel, le commérage misérable, dangereux, n'a pas commencé. Point de vieille qui vienne le soir, quand l'étroite rue devient sombre, tenter la jeune, lui dire qu'on se meurt d'amour pour elle. Celle-ci n'a d'ami que ses songes, ne cause qu'avec ses bêtes ou l'arbre de la foret.
Ils lui parlent ; nous savons de quoi. Ils réveillent en elle les choses que lui disait sa mère, sa grand-mère, choses antiques, qui, pendant des siècles, ont passé de femme en femme. C'est l'innocent souvenir des vieux esprits de la contrée, touchante religion de famille, qui, dans l'habitation commune et son bruyant pêle-mêle, eut peu de force, sans doute, mais qui revient et qui hante la cabane solitaire.
Monde singulier, délicat, des fées, des lutins, fait pour une âme de femme. Dès que la grande création de la Légende des saints s'arrête et tarit, cette légende plus ancienne et bien autrement poétique vient partager avec eux, règne secrètement, doucement. Elle est le trésor de la femme, qui la choie et la caresse. La fée est une femme aussi, le fantastique miroir où elle se regarde embellie.
Que furent les fées ? Ce qu'on en dit, c'est que, jadis, reines des Gaules, fières et fantasques à l'arrivée du Christ et de ses apôtres, elles se montrèrent impertinentes, tournèrent le dos. En Bretagne, elles dansaient à ce moment, et ne cessèrent pas de danser. De là leur cruelle sentence. Elles sont condamnées à vivre jusqu'au jour du Jugement 16. . — Plusieurs sont réduites à la taille du lapin, de la souris. Exemple, les Kowrig-gwans (les fées naines), qui, la nuit, autour des vieilles pierres druidiques, vous enlacent de leurs danses. Exemple, la jolie reine Mab, qui s'est fait un char royal avec une coquille de noix. — Elles sont un peu capricieuses, et parfois de mauvaise humour. Mais comment s'en étonner, dans cette triste destinée ? — Toutes petites et bizarres qu'elles puissent être, elles ont un cœur, elles ont besoin d'être aimées. Elles sont bonnes, elles sont mauvaises et pleines de fantaisies. A la naissance d'un enfant, elles descendent par la cheminée, le douent et font son destin. Elles aiment les bonnes fileuses, filent elles-mêmes divinement. On dit : Filer comme mie fée .
Les Contes de fées , dégagés des ornements ridicules dont les derniers rédacteurs les ont affublés, sont le cœur dit peuple même. Ils marquent une époque poétique entre le communisme grossier de la villa primitive, et la licence du temps où une bourgeoisie naissante fit nos cyniques fabliaux.
Ces contes ont une partie historique, l'appellent les grandes famines (dans les ogres, etc.). Mais généralement ils planent bien plus haut que toute l'histoire, sur l'aile de l' Oiseau bleu , dans une éternelle poésie, disent nos vœux, toujours les mêmes, l'immuable histoire du cœur.
Le désir du pauvre serf de respirer, de reposer, de trouver un trésor qui finira ses misères, y revient souvent. Plus souvent, par une noble aspiration, ce trésor qui est aussi une âme, un trésor d'amour qui sommeille (dans la Belle au bois dormant ) ; mais souvent la charmante personne se trouve cachée sous un masque par un fatal enchantement. De là la trilogie touchante, le crescendo admirable de Riquet à la houppe , de Peau-d'Âne , et de la Belle et la Bête . L'amour ne se rebute pas. Sous ces laideurs, il poursuit, il atteint la beauté cachée. Dans le dernier de ces contes, cela va jusqu'au sublime, et je crois que jamais personne n'a pu le lire sans pleurer.
Une passion très-réelle, très-sincère, est là-dessous, l'amour malheureux, sans espoir, que souvent la nature cruelle mit entre les pauvres âmes de condition trop différente, la douleur de la paysanne de ne pouvoir se faire belle pour être aimée du chevalier, les soupirs étouffés du serf quand, le long de son sillon, il voit, sur un cheval blanc, passer un trop charmant éclair, la belle, l'adorée châtelaine. C'est, comme dons l'Orient, l'idylle mélancolique des impossibles amours de la Rose et du Rossignol. Toutefois, grande différence : l'oiseau et la fleur sont
Weitere Kostenlose Bücher