La Sorcière
touchants secrets de femmes. Elle pense à eux quand elle met au feu la bûche sacrée. C'est Noël, mais on même temps l'ancienne fête des esprits du Nord, la fête de la plus longue nuit . De même, la vigile de la nuit de mai , le percigilium de Maïa, où l'arbre se plante. De même, au feu de la Saint-Jean, la vraie fête de la vie, des fleurs et des réveils d'amour. Celle qui n'a pas d'enfants, surtout, se fait devoir d'aimer ces fêtes, et d'y avoir dévotion. Un vœu à la Vierge peut-être ne serait pas efficace. Ce n'est pas l'affaire de Mario. Tout bas, elle s'adresse plutôt à un vieux génie, adoré jadis comme dieu rustique, et dont telle église locale a la bonté de faire un saint 18. . — Ainsi le lit, le berceau, les plus doux mystères que couve une âme chaste et amoureuse, tout cela est aux anciens dieux.
Les esprits ne sont pas ingrats. Un matin, elle s'éveille, et, sans mettre lu main à rien, elle trouve le ménage fait. Elle est interdite et se signe, ne dit rien. Quand l'homme part, elle s'interroge, mais en vain. Il faut que ce soit un esprit. « Quel est-il ? et comment est-il ?... Oh ! que je voudrais le voir !... Mais j'ai peur... Ne dit-on pas qu'on meurt à voir un esprit ? » — Cependant le berceau remue, et il ondule tout seul... Elle est saisie, et entend une petite voix très-douce, si basse, qu'elle la croirait en elle : « Ma chère et très-chère maîtresse, si j'aime à bercer votre enfant, c'est que je suis moi-même enfant. » Son cœur bat, et cependant elle se rassure un peu. L'innocence du berceau innocente aussi cet esprit, fait croire qu'il doit être bon, doux, au moins toléré de Dieu.
Dès ce jour, elle n'est plus seule. Elle sent très-bien sa présence, et il n'est pas bien loin d'elle. Il vient de raser sa robe ; elle l'entend au frôlement. A tout instant, il rôde autour et visiblement ne peut la quitter. Va-t-elle à l'étable, il y est. Et elle croit que, l'autre jour, il était dans le pot à beurre 19. .
Quel dommage qu'elle ne puisse le saisir et le regarder ! Une fois, à l'improviste, ayant touché les tisons, elle l'a cru voir qui se roulait, l'espiègle, dans les étincelles. Une autre fois, elle a failli le prendre dans une rose. Tout petit qu'il est, il travaille, balaye, approprie, il lui épargne mille soins.
Il a ses défauts cependant. Il est léger, audacieux, et, si on ne le tenait, il s'émanciperait peut-être. Il observe, écoute trop. Il redit parfois au matin tel petit mot qu'elle a dit tout bas, tout bas, au coucher, quand la lumière était éteinte. — Elle le sait fort indiscret, trop curieux. Elle est gênée de se sentir suivie partout, s'en plaint et y a plaisir. Parfois elle le renvoie, le menace, enfin se croit seule et se rassure tout à fait. Mais au moment elle se sent caressée d'un souffle léger ou comme d'une aile d'oiseau. Il était sous une feuille... Il rit... Sa gentille voix, sans moquerie, dit le plaisir qu'il a eu à surprendre sa pudique maîtresse. La voilà bien en colère. — Mais le drôle : « Non, chérie, mignonne, vous n'en êtes pas fâchée. »
Elle a honte, n'ose plus rien dire. Mais il entrevoit alors qu'elle l'aime trop. Elle en a scrupule, et l'aime encore davantage. La nuit, elle a cru le sentir au lit qui s'était glissé. Elle a eu peur, a prié Dieu, s'est serrée à son mari. Que fera-t-elle ? elle n'a pas la force de le dire à l'Église. Elle le dit au mari, qui d'abord en rit et doute. Elle avoue alors un peu plus, — que ce follet est espiègle, parfois trop audacieux... — « Qu'importe, il est si petit ! » — Ainsi, lui-même la rassure.
Devons-nous être rassurés, nous autres qui voyons mieux ? Elle est bien innocente encore. Elle aurait horreur d'imiter la grande dame de là-haut, qui a, par devant le mari, sa cour d'amants, et son page. Avouons-le pourtant, le lutin a déjà fait bien du chemin. Impossible d'avoir un page moins compromettant que celui qui se cache dans une rose. Et, avec cela, il tient de l'amant. Plus envahissant que nul autre, si petit, il glisse partout.
Il glisse au cœur du mari même, lui tait sa cour, gagne ses bonnes grâces. Il lui soigne ses outils, lui travaille le jardin, et le soir, pour récompense, derrière l'enfant et le chat, se tapit dans la cheminée. On entend sa petite voix tout comme celle du grillon, mais on ne le voit pas beaucoup, à moins qu'une faible lueur n'éclaire une certaine fente où il
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