La Sorcière
beaux, même égaux dans la beauté. Mais ici l'être inférieur, si bas placé, se fait l'aveu : « Je suis laid, je suis un monstre ! » Que de pleurs !... En même temps, plus puissamment qu'en Orient, d'une volonté héroïque, et par la grandeur du désir, il perce les vaines enveloppes. Il aime tant, qu'il est aimé, ce monstre, et il devient beau.
Une tendresse infinie est dans tout cela. — Cette âme enchantée ne pense pas à elle seule. Elle s'occupe aussi à sauver la nature et toute la société. Toutes les victimes d'alors, l'enfant battu par sa marâtre, la cadette méprisée, maltraitée de ses aînées, sont ses favorites. Elle étend sa compassion sur la dame même du château, la plaint d'être dans les mains de ce féroce baron (Barbe-Bleue). Elle s'attendrit sur les bêtes, les console d'être encore sous des figures d'animaux. Cela passera, qu'elles patientent. Leurs âmes captives un jour reprendront des ailes, seront libres, aimables, aimées. — C'est l'autre face de Peau-d'Âne et autres contes semblables. La surtout on est bien sûr qu'il y a un cœur de femme. Le rude travailleur des champs est assez dur pour ses bêtes. Mais la femme n'y voit point de bêtes. Elle en juge comme l'enfant. Tout est humain, tout est esprit. Le monde entier est ennobli. Oh ! l'aimable enchantement ! Si humble, et se croyant laide, elle a donné sa beauté, son charme à toute la nature.
Est-ce qu'elle est donc si laide, cette petite femme de serf, dont l'imagination rêveuse se nourrit de tout cela ? Je l'ai dit, elle fait le ménage, elle file en gardant ses bêtes. Elle va à la forêt, et ramasse un peu de bois. Elle n'a pas encore les rudes travaux, elle n'est point la laide paysanne que fera plus tard la grande culture du blé. Elle n'est pas la grasse bourgeoise, lourde et oisive, des villes, sur laquelle nos aïeux ont fait tant de contes gras. Celle-ci n'a nulle sécurité, elle est timide, elle est douce, elle se sent sous la main de Dieu. Elle voit sur la montagne le noir et menaçant château d'où mille maux peuvent descendre. Elle craint, honore son mari. Serf ailleurs, près d'elle il est roi. Elle lui réserve le meilleur, vit de rien. Elle est svelte et mince, comme les saintes des églises. La très-pauvre nourriture de ces temps doit faire des créatures fines, mais chez qui la vie est faible. - Immenses mortalités d'enfants. — Ces pâtes roses n'ont que des nerfs. De là éclatera plus tard la danse épileptique du quatorzième siècle. Maintenant, vers le douzième, deux faiblesses sont attachées à cet état de demi-jeûne : la nuit, le somnambulisme, et, le jour, l'illusion, la rêverie et le don des larmes.
Cette femme, tout innocente, elle a pourtant, nous l'avons dit, un secret qu'elle ne dit jamais à l'Église. Elle enferme dans son cœur le souvenir, la compassion des pauvres anciens dieux 17. , tombés à l'état d'Esprits. Pour être Esprits, ne croyez pas qu'ils soient exempts de souffrances. Logés aux pierres, au cœur des chênes, ils sont bien malheureux l'hiver. Ils aiment fort la chaleur. Ils rôdent autour des maisons. On en a vu dans les étables se réchauffer près des bestiaux. N'ayant plus d'encens, de victimes, ils prennent parfois du lait. La ménagère, économe, ne prive pas son mari, mais elle diminue sa part, et, le soir, laisse un peu de crème.
Ces esprits qui ne paraissent plus que de nuit, exilés du jour, le regrettent et sont avides de lumières. La nuit, elle se hasarde, et timidement va porter un humble petit fanal au grand chêne où ils habitent, à la mystérieuse fontaine dont le miroir, doublant la flamme, égayera les tristes proscrits.
Grand Dieu ! si on le savait ! Son mari est homme prudent, et il a bien peur de l'Église. Certainement il la battrait. Le prêtre leur fait rude guerre, et les chasse de partout. On pourrait bien cependant leur laisser habiter les chênes. Quel mal font-ils dans la forêt ? Mais non, de concile en concile, on les poursuit. A certains jours, le prêtre va au chêne même, et, par la prière, l'eau bénite, donne la chasse aux esprits !
Que serait-ce s'ils ne trouvaient nulle âme compatissante ? Mais celle-ci les protège. Toute bonne chrétienne qu'elle est, elle a pour eux un coin du cœur. A eux seuls elle peut confier telles petites choses de nature, innocentes chez la chaste épouse, mais dont l'Église pourtant lui ferait reproche. Ils sont confidents, confesseurs de ces
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