La Sorcière
écrit expressément comme droit le plus sanglant outrage qui puisse navrer le cœur de l'homme.
Le seigneur ecclésiastique, comme le seigneur laïque, a ce droit immonde. Dans une paroisse des environs de Bourges, le curé, étant seigneur, réclamait expressément les prémices de la mariée, mais voulait bien en pratique vendre au mari pour argent, la virginité de sa femme 20. .
On a cru trop aisément que cet outrage était de forme, jamais réel. Mais le prix indiqué en certains pays, pour en obtenir dispense, dépassait fort les moyens de presque tous les paysans. En Écosse, par exemple, on exigeait « plusieurs vaches ». Chose énorme et impossible ! Donc la pauvre jeune femme était à discrétion. Du reste, les Fors du Béarn disent très-expressément qu'on levait ce droit en nature. « L'aîné du paysan est censé le fils du seigneur, car il peut être de ses œuvres 21. . »
Toutes coutumes féodales, même sans faire mention de cela, imposent à la mariée de monter au château, d'y porter le « mets de mariage ». Chose odieuse de l'obliger à s'aventurer ainsi au hasard de ce que peut faire cette meute de célibataires impudents et effrénés.
On voit d'ici la scène honteuse. Le jeune époux amenant au château son épousée. On imagine les rires des chevaliers, des valets, les espiègleries des pages autour de ces infortunés. — « La présence de la châtelaine les retiendra ? » Point du tout. La dame que les romans veulent faire croire si délicate 22. , mais qui commandait aux hommes dans l'absence du mari, qui jugeait, qui châtiait, qui ordonnait des supplices, qui tenait le mari même par les fiefs qu'elle apportait, cette dame n'était guère tendre, pour une serve surtout qui peut-être était jolie. Ayant fort publiquement, selon l'usage d'alors, son chevalier et son page, elle n'était pas fâchée d'autoriser ses libertés par les libertés du mari.
Elle ne fera pas obstacle à la farce, à l'amusement qu'on prend de cet homme tremblant qui veut racheter sa femme. On marchande d'abord avec lui, on rit des tortures « du paysan avare » ; on lui suce la moelle et le sang. Pourquoi cet acharnement ? C'est qu'il est proprement habillé, qu'il est honnête, rangé, qu'il marque dans le village. Pourquoi ? c'est qu'elle est pieuse, chaste, pure, c'est qu'elle l'aime, qu'elle a peur et qu'elle pleure. Ses beaux yeux demandent grâce.
Le malheureux offre en vain tout ce qu'il a, la dot encore... C'est trop peu. Là, il s'irrite de cette injuste rigueur. « Son voisin n'a rien payé...... » L'insolent ! le raisonneur ! Alors toute la meute l'entoure, on crie ; bâtons et balais travaillent sur lui, comme grêle. On le pousse, on le précipite. On lui dit : « Vilain jaloux, vilaine face de carême, on ne la prend pas ta femme, on te la rendra ce soir, et, pour comble d'honneur, grosse !... Remercie, vous voilà nobles. Ton aîné sera baron ! » — Chacun se met aux fenêtres pour voir la figure grotesque de ce mort en habit de noces... Les éclats de rire le suivent, et la bruyante canaille, jusqu'au dernier marmiton, donne la chasse au « cocu 23. » !
Cet homme-là aurait crevé, s'il n'espérait dans le démon. Il rentre seul. Est-elle vide, cette maison désolée ? Non, il y trouve compagnie. Au foyer, siège Satan.
Mais bientôt elle lui revient, la pauvre, pâle et défaite, hélas ! hélas ! en quel état !... Elle se jette à genoux, et lui demande pardon. Alors, le cœur de l'homme éclate... Il lui met les bras au cou. Il pleure, sanglote, rugit à faire trembler la maison...
Avec elle pourtant rentre Dieu. Quoi qu'elle ait pu souffrir, elle est pure, innocente et sainte. Satan n'aura rien pour ce jour. Le Pacte n'est pas mûr encore.
Nos fabliaux ridicules, nos contes absurdes, supposent qu'en cette mortelle injure et toutes celles qui suivront, la femme est pour ceux qui l'outragent, contre son mari ; ils nous feraient croire que, traitée brutalement, et accablée de grossesses, elle en est heureuse et ravie. — Que cela est peu vraisemblable ! Sans doute la qualité, la politesse, l'élégance, pouvaient la séduire. Mais on n'en prenait pas la peine. On se serait bien moqué de celui qui, pour une serve, eût filé le parfait amour. Toute la bande, le chapelain, le sommelier, jusqu'aux valets, croyaient l'honorer par l'outrage. Le moindre page se croyait grand seigneur s'il assaisonnait l'amour d'insolences et de
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