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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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l'an 1300, sous le règne du beau roi qu'on put croire d'or ou de fer, qui ne dit jamais un mot, grand roi qui parut avoir un démon muet, mais de bras puissant, assez fort pour brûler le Temple, assez long pour atteindre Rome et d'un gant de fer porter le premier soufflet au pape.
    L'or devient alors le grand pape, le grand dieu. Non sans raison. Le mouvement a commencé sur l'Europe par la croisade ; on n'estime de richesse que celle qui a des ailes et se prête au mouvement, celle des échanges rapides. Le roi, pour frapper ses coups à distance, ne veut que de l'or. L'armée de l'or, l'armée du fisc, se répand sur tout le pays. Le seigneur, qui a rapporté son rêve de l'Orient, on désire toujours les merveilles, armes damasquinées, tapis, épices, chevaux précieux. Pour tout cela, il faut de l'or. Quand le serf apporte son blé, il le repousse du pied. « Ce n'est pas tout je veux de l'or ! »
    Le monde est changé ce jour-là. Jusqu'alors, au milieu des maux, il y avait, pour le tribut, une sécurité innocente. Bon an, mal an , la redevance suivait le cours de la nature et la mesure de la moisson. Si le seigneur disait : « C'est peu, » on répondait : « Monseigneur, Dieu n'a pas donné davantage. »
    Mais l'or, hélas ! où le trouver ?... Nous n'avons pas une armée pour en prendre aux villes de Flandre. Où creuserons-nous la terre pour lui ravir son trésor ? Oh ! si nous étions guides par l'Esprit des trésors cachés 24.  !
    Pendant que tous désespèrent, la femme au lutin est déjà assise sur ses sacs de blé dans la petite ville voisine. Elle est seule. Les autres, au village, sont encore à délibérer.
    Elle vend au prix qu'elle veut. Mais, même quand les autres arrivent, tout va à elle ; je ne sais quel magique attrait y mène. Personne ne marchande avec elle. Son mari, avant le terme, apporte sa redevance en bonne monnaie sonnante à l'orme féodal. Tous disent : « Chose surprenante !... Mais elle a le diable au corps ! »
    Ils rient, et elle ne rit pas. Elle est triste, a peur. Elle a beau prier le soir. Des fourmillements étranges agitent, troublent son sommeil. Elle voit de bizarres figures. L'Esprit si petit, si doux, semble devenu impérieux. Il ose. Elle est inquiète, indignée, veut se lever. Elle reste, mais elle gémit, se sent dépendre, se dit : « Je ne m'appartiens donc plus ! »
     
    « Voilà enfin, dit le seigneur, un paysan raisonnable ; il paye d'avance. Tu me plais. Sais-tu compter ? — Quelque peu. — Eh bien, c'est toi qui compteras avec tous ces gens. Chaque samedi, assis sous l'orme, tu recevras leur argent. Le dimanche, avant la messe, tu le monteras au château. »
    Grand changement de situation ! Le cœur bat fort à la femme quand, le samedi, elle voit son pauvre laboureur, ce serf, siéger comme un petit seigneur sous l'ombrage seigneurial. L'homme est un peu étourdi. Mais enfin il s'habitue ; il prend quelque gravité. Il n'y a pas à plaisanter. Le seigneur veut qu'on le respecte. Quand il est monté au château, et que les jaloux ont fait mine de rire, de lui faire quelque tour : « Vous voyez bien ce créneau, dit le seigneur ; vous ne voyez pas la corde, qui cependant est prête. Le premier qui le touchera, je le mets là, haut et court. »
     
    Ce mot circule, on le redit. Et il étend autour d'eux comme une atmosphère de terreur. Chacun leur ôte le chapeau bien bas, très-bas. Mais on s'éloigne, on s'écarte, quand ils passent. Pour les éviter, on s'en va par le chemin de traverse, sans voir et le dos courbé. Ce changement les rend fiers d'abord, bientôt les attriste. Ils vont seuls dans la commune. Elle, si fine, elle voit bien le dédain haineux du château, la haine peureuse d'en bas. Elle se sent entre deux périls, dans un terrible isolement. Nul protecteur que le seigneur ou plutôt l'argent qu'on lui donne ; mais, pour le trouver cet argent, pour stimuler la lenteur du paysan, vaincre l'inertie qu'il oppose, pour arracher quelque chose même à qui n'a rien, qu'il faut d'insistances, de menaces, de rigueur ! Le bonhomme n'était pas fait à ce métier. Elle l'y dresse, elle le pousse, elle lui dit : « Soyez rude ; au besoin cruel. Frappez. Sinon, vous manquerez les termes. Et alors, nous sommes perdus. »
    Ceci, c'est le tourment du jour, peu de chose en comparaison des supplices de la nuit. Elle a comme perdu le sommeil. Elle se lève, va, vient. Elle rôde autour de la maison. Tout est

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